Indépendamment du stade qu’auraient atteint « les pourparlers » autour de l’option Aoun, selon l’expression de milieux du courant du Futur, celle-ci se heurte à un front de refus interne, qui a été comme mis au jour depuis qu’est évoquée la possibilité pour Saad Hariri de soutenir à la présidentielle la candidature du chef du bloc du Changement et de la Réforme, Michel Aoun.
Le pivot central de ce refus interne est la candidature du député Sleiman Frangié, à laquelle se rallieraient le président de la Chambre, Nabih Berry, et le chef du Rassemblement démocratique, Walid Joumblatt. La présence hier du député du bloc des Marada, Estephan Doueihy, à la 45e séance électorale (reportée au 31 octobre prochain) a marqué une rupture avec le boycottage soutenu de ces séances par les Marada, en solidarité avec le Hezbollah. Donnant lecture d’un communiqué succinct, M. Doueihy a tenu à « rassurer » que la candidature de M. Frangié « tient toujours », étant donné son « aptitude à faire l’objet d’une entente nationale ». Il ajoutera, en réponse à une question, que « Saad Hariri continue de soutenir cette candidature ».
En parallèle, Sleiman Frangié a tenu à mettre en garde, via Twitter, contre un éventuel soutien du leader du courant du Futur à Michel Aoun, qui aurait « le même résultat que la nomination de Aoun à la tête du gouvernement en 1988 par le président (Amine) Gemayel ».
Les Marada auraient donc décidé « d’ouvrir le feu » sur la candidature de Michel Aoun, apprend-on de sources concordantes. Démarche on ne peut plus légitime, dans la mesure où les deux parties sont rivales à la présidentielle. Alors que le courant du Futur s’était engagé à « soutenir M. Frangié tant que ce dernier ne s’est pas retiré de la course », le leader de Zghorta avait pour sa part lié son retrait à la seule condition d’une « entente nationale » autour d’un autre candidat. Les Marada invoquent désormais le défaut d’entente nationale autour de Michel Aoun pour justifier le maintien de M. Frangié dans la course. La campagne électorale des Marada est donc relancée face au camp aouniste. L’on serait ainsi tenté de voir le jeu électoral démocratique prendre son cours. « Le mois qui nous sépare de la prochaine séance électorale peut tout faire basculer », vont jusqu’à dire certains proches du parti nordiste. Tout cela reste toutefois de l’ordre du jeu apparent, le vrai destinataire de la campagne n’étant visiblement pas le courant du Futur, lequel aurait d’ailleurs été informé au préalable par les Marada de leur décision de déléguer leur député à l’hémicycle.
Les milieux des Marada indiquent à L’OLJ avoir fait acte de présence au Parlement afin de « parer au préjudice que nous ont causé nos absences répétées à la Chambre ». Cet argument paraît sous-entendre la possibilité pour eux de lever leur boycottage des séances électorales et d’assurer en conséquence le quorum qui manque à l’élection de leur leader, indépendamment du Hezbollah et de Michel Aoun.
Il reste à cerner la portée pratique de cet acte, d’autant que rien ne laisse croire pour l’instant en quelque volonté du Hezbollah de débloquer la présidentielle. Selon les propos attribués au parti chiite dans les médias, celui-ci attendrait toujours une expression « concrète » d’un appui de Saad Hariri à Michel Aoun, dans une volonté manifeste de prouver que c’est au chef du courant du Futur de débloquer la situation et, par conséquent, que c’est sur lui que retombe la responsabilité du blocage. Ce que les sources du Futur jugent bien étrange : pourquoi Saad Hariri devrait-il toujours se positionner sur la défensive en s’efforçant de prouver, à coups de concessions, que ce n’est pas lui qui est responsable du blocage ?
De plus, au niveau régional, le conflit irano-saoudien est à son paroxysme, et le Liban n’est pas épargné. Ahmad Fatfat l’a résumé hier de Dar el-Fatwa, en mettant en exergue l’impossibilité de faire des concessions au camp iranien à l’heure où Alep est en proie à une attaque tous azimuts.
Téhéran n’aurait, du reste, nul intérêt palpable au déblocage, et il n’existe pas de mobilisation diplomatique suffisamment active pour l’en convaincre (les efforts français restent isolés, soutenus par les vœux pieux des grandes puissances, comme la Russie dernièrement, ou au mieux l’Onu, dont la coordinatrice spéciale au Liban doit effectuer dès vendredi une tournée en Iran, en Arabie saoudite et à Paris).
Pourtant, même s’il est relégué au second plan par l’Arabie et les acteurs internationaux, cela ne signifie pas que le Liban a été livré à l’hégémonie iranienne. Preuve en est, les expressions d’hostilité à l’égard de Téhéran auraient meublé la grande partie de l’entretien du ministre Waël Bou Faour en Arabie, pourtant axé sur la présidentielle. Même si le feu vert aurait été donné par l’Arabie à Saad Hariri de « faire ce qu’il juge bon pour le pays » à ce niveau, il devra faire ses choix « à ses risques et périls », selon une source du courant du Futur. Comprendre qu’il n’existe aucun signal iranien d’un consensus au niveau du Liban, que pourrait intercepter l’Arabie. Et surtout, que l’élection de Michel Aoun ne serait qu’une étape dans le bras de fer régional irano-saoudien, dont Saad Hariri pourrait cette fois payer le prix lourd.
Partant, la démarche du leader du Futur auprès de ses interlocuteurs libanais reste prudente : son enjeu serait moins de promouvoir l’option Aoun (qu’il laisse ouverte avec celle de Frangié) que d’examiner les moyens de forcer une fois pour toutes un (improbable) déblocage, en évitant la confrontation ouverte avec le Hezbollah.
M. Hariri ne s’est donc pas aventuré à débattre de l’option Aoun avec le président des Kataëb, Samy Gemayel, qui l’a reçu hier à Saïfi, rapporte à L’OLJ l’ancien ministre Sélim Sayegh. L’entretien se serait plutôt orienté vers les moyens disponibles pour débloquer le scrutin, « quitte à recourir à un troisième candidat, même s’il est encore trop tôt pour évoquer cette hypothèse ». Concrètement, si Saad Hariri garde ouvertes toutes les options, il se décharge de ce que le Hezbollah cherche à lui imposer depuis le début de la vacance présidentielle, à savoir la tâche de mener lui-même la campagne des candidats qu’il accepte ou envisage de soutenir. « C’est aux candidats qui sont dans la course de courir et pas à Saad Hariri de courir à leur place », affirme ainsi M. Sayegh.
La mobilisation du courant du Futur aurait semble-t-il remué les deux candidatures du 8 Mars, deux verrous utilisés par le Hezbollah pour maintenir le vide. À défaut d’aboutir à embarrasser complètement le parti chiite, le courant du Futur aurait au moins contribué à circonscrire l’escalade aouniste annoncée, et à créer un contrepoids national circonstanciel (Kataëb-Marada-PSP-et paradoxalement Amal) à la rhétorique de chantage par le biais du pacte national que le Courant patriotique libre exploite à foison depuis quelques mois.