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L’exigence du package deal de Berry freine la dynamique haririenne de déblocage

Philippe Abi-Akl

Le chef du courant du Futur, Saad Hariri, a-t-il réussi à trouver une issue à l’impasse présidentielle, grâce à sa récente tournée auprès des principaux pôles politiques du pays ? A-t-il réussi à mettre en échec les plans du Hezbollah visant à lui faire assumer, ainsi qu’au 14 Mars et à l’Arabie saoudite, la responsabilité du blocage de l’échéance, sous le prétexte qu’il ne soutenait pas la candidature du général Michel Aoun à la magistrature suprême ?
De l’avis d’une source parlementaire du Futur, le Hezbollah n’est plus capable de faire assumer à Saad Hariri, au courant du Futur et à Riyad cette responsabilité depuis que l’ancien Premier ministre envisage désormais l’option Aoun comme une option viable. Le parti chiite n’est plus en mesure de dissimuler le torpillage systématique par Téhéran de l’échéance présidentielle, maintenant qu’il est acculé à prendre position du fait de l’adhésion de M. Hariri à une élection éventuelle de M. Aoun. Pour cette source, c’est ce qui explique le fait que le Hezbollah ait désormais recours à un nouveau stratagème – le package deal de Nabih Berry – pour torpiller encore l’élection présidentielle.
La dynamique menée par M. Hariri ces derniers jours aurait été fructueuse. Le jeune leader a réussi à réanimer une échéance présidentielle embourbée dans un blocage imperturbable. Il a ainsi réussi à remuer la scène interne, poussant la conjoncture vers une formule de compromis pour élire un président. Il a également réussi à jeter la balle dans le camp du Hezbollah, qui est aujourd’hui appelé à prendre clairement position au sujet de son candidat officiel, Michel Aoun, pour lui ouvrir la voie du palais de Baabda.
Mais pourquoi donc est-il soudain question de package deal? Pourquoi en faire un passage obligé vers l’élection présidentielle ? Pourquoi avoir attendu tous ces développements avant de révéler son caractère impératif ? Il s’agirait donc d’un nouvel artifice de la part du parti chiite pour empêcher toute entente entre Michel Aoun et Saad Hariri. Le Hezb verrait en effet d’un très mauvais œil la mise en place d’un axe sunnito-maronite autour de la présidence de la République, du gouvernement et de la prochaine étape en général. Le but du package deal serait ainsi d’empêcher tout retour à un tel axe, qui présidait autrefois aux destinées du Liban avant que Damas ne le lamine progressivement après la guerre. Le régime syrien était passé maître dans l’art d’empêcher les parties libanaises musulmanes et chrétiennes de dialoguer sans passer par la néo-Sublime Porte, à Anjar. C’est précisément le prix de ce rapprochement avec les options souverainistes défendues par le patriarche Nasrallah Sfeir que Rafic Hariri (et tant d’autres après lui) avait payé de sa vie, le 14 février 2005.
C’est sur base de ce refus d’un tel axe que le Hezbollah souligne qu’un président de la République ne peut être élu aujourd’hui qu’en fonction du package deal annoncé par Nabih Berry. Le parti chiite souhaite présider à la conclusion des marchés politiques avant l’élection présidentielle, pour ne pas tomber ultérieurement dans des conflits autour de la formation des gouvernements ou des nominations administratives. Partant, une personnalité comme Saad Hariri ne pourrait retourner au Grand Sérail qu’avec l’accord du Hezbollah, soulignent des sources du 8 Mars. Aucun président du Conseil ne pourrait être désigné sans l’aval du parti chiite. Ce n’est que sur base des conditions du Hezb et en fonction de son agenda que la vie politique devrait évoluer. En ce sens, les candidats à la présidence du Conseil sont invités à donner des garanties au parti chiite concernant le tribunal international, les armes de la résistance, le partenariat au pouvoir, ou encore les nominations. Le Hezb ne veut pas être marginalisé ou se retrouver dans le collimateur avec le nouveau mandat. Des sources du 8 Mars font ainsi état d’une éventuelle rencontre à venir entre M. Hariri et le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui devra couronner le marché conclu et jeter les bases de la nouvelle étape, sitôt l’ancien Premier ministre de retour au Liban.
Le chef du courant du Futur se rend aujourd’hui en effet en Russie, dans le cadre d’une tournée qui devrait le conduire notamment en Turquie, en France et en Arabie, pour discuter de l’échéance présidentielle et des moyens que ces pays pourraient mettre en œuvre afin de contribuer au déblocage de l’échéance. Parallèlement, la coordinatrice spéciale de l’Onu pour le Liban, Sigrid Kaag, se rend à Téhéran, Riyad et Moscou dans le même objectif. M. Hariri pourrait entendre au cours de sa visite les mêmes propos tenus à Beyrouth par l’ancien chef de la diplomatie égyptienne, Sameh Chucri, selon lesquels il est nécessaire d’œuvrer en faveur d’un candidat indépendant et modéré, loin des clivages actuels. Un président du 8 ou du 14 Mars romprait l’équilibre et la stabilité au Liban, à l’heure où le conflit irano-saoudien bat son plein et où la violence continue de déferler sur la région avec une force inouïe, sans perspective de solutions au conflit syrien. Or c’est la modération qu’il est demandé de renforcer au Liban, par le biais d’un président de la République neutre et d’un président du Conseil qui ferait face à l’extrémisme et au terrorisme. L’heure n’est pas à une implosion du pays du Cèdre, sans quoi cela aurait des conséquences encore plus graves sur la crise syrienne et la région tout entière, ainsi que sur les États-Unis et la Russie. La polémique entre le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, et le président de la Chambre, Nabih Berry, a donc stoppé net les démarches menées par M. Hariri, le 8 Mars prouvant une fois de plus que l’heure de la « libération » de l’échéance présidentielle des considérations régionales n’a pas encore sonné.