Que l’on soit « pour » ou « contre », c’est un tournant décisif dans l’histoire de la crise présidentielle qui s’est produit hier, avec l’appui officiel apporté par Saad Hariri à la candidature de Michel Aoun. Et force est de reconnaître que c’est avec beaucoup de dignité que M. Hariri l’a négocié, après s’être rendu sur la tombe de son père assassiné pour mieux inscrire sa démarche dans l’esprit de compromis et de conciliation dont savait faire preuve son père, aux grandes occasions.
Cela dit, c’est à un sens de l’inachevé qu’ont été sensibles hier divers observateurs, stupéfaits par l’inamicale apparence de l’accueil réservé par Nabih Berry à Michel Aoun. De toute évidence, on est encore à distance d’une « entente » de l’arrivée sans encombre du chef du CPL à Baabda. L’accueil de M. Berry était aussi glacial que celui de M. Hariri était chaleureux. Le leader du mouvement Amal avait même pris soin d’ôter sa cravate, pour que l’accueil de Michel Aoun paraisse le moins officiel possible. De toute évidence, comme cela s’est fait pour la cravate, « un nœud chiite » reste à défaire, pour que tout aille bien.
C’est d’ailleurs ce que le bloc parlementaire du Hezbollah a laissé entendre, en affirmant qu’une « entente » est encore nécessaire sur la voie de la présidentielle, raison pour laquelle le parti chiite voulait reculer de quelques jours l’échéance présidentielle (31 octobre). En tout état de cause, on en saura plus dimanche, avec un discours attendu, ce jour-là, de Hassan Nasrallah. Il faut espérer que cette entente en soit réellement une, et non un marché de plus.
Que réservent les prochains jours encore à Michel Aoun ? De toute évidence, le chef du CPL ne jouit pas de l’appui de tous les députés du courant du Futur. Certains l’ont dit ouvertement, comme MM. Siniora et Makari, d’autres l’ont dit par leur absence comme Ahmad Fatfat et Ammar Houry. En gros, une petite dizaine des députés de ce bloc sur 34 ne suivront pas leur chef dans son appui à Michel Aoun. Citons Fouad Siniora, Ahmad Fatfat, Ammar Houry, Nidal Tohmé, Mouïne Merhabi, Amine Wehbé, Farid Makari et Riad Rahal. On est presque dans une fronde, malgré l’affection quasi paternelle qui transparaît dans les propos de Fouad Siniora assurant qu’il ne lâchera pas le fils de son ami Rafic Hariri.
Côté Marada, Salim Karam, député de Zghorta, a regretté, non sans ironie, l’énorme temps perdu par Saad Hariri à se rallier à la candidature du général Aoun. « Il aurait dû choisir son candidat une bonne fois pour toutes, a-t-il confié à L’OLJ, il aurait ainsi épargné au pays cette longue crise. »
Dans ce contexte, Sleiman Frangié reste-t-il dans la course ? « Oui et pourquoi se retirerait-il ? » répond M. Karam, qui relève que « le chef des Marada n’est pas seul » et que « des alliances politiques sur lesquelles il mise beaucoup se manifesteront le jour de l’élection ».
L’augmentation des chances d’arrivée de Michel Aoun à Baabda n’a pas fait, cependant, que des contents et des mécontents. Dans les milieux diplomatiques, elle a fait des circonspects et certains n’ont pas caché leur inquiétude de voir élu un président qui appartient à un camp, et non un centriste. Ils y ont vu « un mauvais signe », une donnée susceptible d’accroître les possibilités de voir le Liban entraîné dans la confrontation entre les axes régionaux.
À la décharge du tandem Aoun-Hariri, toutefois, il faut citer les deux garanties dont Saad Hariri a fait état dans son discours ; celle de ne pas endosser un quelconque changement constitutionnel, sinon à l’unanimité, et celle de maintenir le Liban à distance du foyer de violence syrien. On ne voit pas comment cela sera possible, tant que le Hezbollah continuera de se battre en Syrie, et il est plus que significatif que le discours ne cite la déclaration de Baabda ni de près ni de loin. De toute évidence, des temps difficiles nous attendent toujours.