Le passage de la phase de l’affrontement militaire à celle du dialogue politique – décrit par une source bien informée du Futur – s’est confirmé avec la visite officielle à Beyrouth du ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif. Protagoniste de l’accord sur le nucléaire et acteur-clé de l’aile iranienne dite réformiste, relevant du président Hassan Rohani, le ministre s’est exprimé à Beyrouth en termes neufs, d’espoir et d’ouverture, nés d’une « nouvelle vision qui s’offre à la région, fondée sur le dialogue ». Ce discours, qui reste pour l’instant d’ordre moral, accompagne la dynamique diplomatique, déjà initiée – mais encore longue – pour une solution au conflit syrien.
En attendant que se précise cette solution, l’heure au Liban reste au maintien de la stabilité et, par voie de conséquence, au maintien du gouvernement. Ce souhait iranien était manifeste dans l’appui exprimé par le chef de la diplomatie iranienne au Premier ministre Tammam Salam, mardi, au Grand Sérail. En signe de bonne foi, le diplomate a veillé à rompre avec la tradition, entretenue jusque-là par les responsables iraniens en visite au Liban, de se rendre à la sépulture de Imad Moghniyé, relève un observateur. Ce qui ne l’a pas empêché, pour autant, d’entretenir en filigrane le discours traditionnel de lutte contre Israël et contre le terrorisme, une lutte dont l’accord sur le nucléaire serait le nouvel outil, selon lui. Parallèlement à ce discours officiel, il aurait notifié ses interlocuteurs respectifs du Hezbollah et du Courant patriotique libre (CPL) de l’impératif de maintenir le cabinet Salam.
Ce plafond étant fixé, aucun signe d’une éclaircie intérieure ne pointe encore. Même si certains observateurs jugent possible que le déblocage institutionnel au Liban précède une solution en Syrie. D’une part, l’insistance du ministre iranien sur « la non-ingérence de Téhéran dans les affaires intérieures libanaises » laisse sceptiques les observateurs quant à un déblocage prochain de la présidentielle. En effet, cet argument avait été avancé par M. Zarif en réponse à son homologue français, qui tentait, le mois dernier à Téhéran, un déblocage de la présidentielle libanaise, dans le prolongement de l’initiative de l’émissaire français Jean-François Girault, et avec l’appui de principe de Washington.
Il n’empêche, d’autre part, que les discours officiels du 8 Mars, y compris celui du Hezbollah, relatifs à la présidentielle commencent à remplacer l’appui immodéré au leader du CPL, par un souhait d’« un candidat consensuel ». La polémique qui a éclaté au grand jour entre le général Michel Aoun et le président de la Chambre, Nabih Berry, serait en effet l’expression d’une mise à l’écart, par le 8 Mars dans son ensemble, de la candidature de son allié chrétien à la présidence. Alors que certaines sources du 14 Mars disent craindre un possible fléchissement du président de la Chambre, sous les pressions éventuelles du Hezbollah en faveur de Michel Aoun, le constat politique général reste que « le président de la Chambre a exprimé tout haut ce que ses alliés pensent tout bas ». Certaines figures du 14 Mars tendent même à affirmer que le Hezbollah « laisse faire son allié chrétien dans ses menaces d’escalade, non plus pour les instrumentaliser le cas échéant, mais parce que l’isolement, où s’enlise actuellement le courant aouniste, convient désormais au parti chiite ».
Il y a, dans la lecture respective des événements, par le 8 Mars et le 14 Mars, des points de convergence inattendus et nombreux. Ainsi, certains milieux proches du parti chiite n’écartent pas l’éventualité d’une reconversion politique du Hezbollah : si l’Iran venait à imposer son rôle régional, ce rôle accompagnerait « la démilitarisation » des problèmes régionaux.
Le CPL est le seul à se démarquer de la configuration nouvelle des rapports internes. Le ministre des AE, Gebran Bassil, qui recevait hier son homologue iranien, a réédité le même discours, antérieur à l’accord sur le nucléaire, de lutte commune contre le « takfirisme », dont il n’a pas écarté, en outre, « le takfirisme politique au Liban ». Un « takfirisime politique » dont les manifestants du CPL, rassemblés hier au centre-ville, ont accusé explicitement le courant du Futur, à travers leurs slogans et calicots. Mais dans l’acharnement politique d’un courant qu’on isole (et qui s’isole), une prudence s’est imposée hier, celle de respecter le plafond du maintien du cabinet. En effet, afin de contenir tout dérapage sécuritaire, ce sont les cadres du CPL et leur entourage direct qui ont composé la grande partie de la foule descendue dans la rue. Certains éléments du Hezbollah étaient par ailleurs présents parmi les manifestants, rapportent notre correspondante sur le terrain. Cela n’a pas empêché les organisateurs de recourir à des ruses, pour laisser croire à un nombre plus grand de participants : le convoi du CPL roulait lentement hier sur l’autoroute menant vers la capitale, et les voitures maintenaient une certaine distance, afin de donner l’illusion d’un cortège. La présence des députés et des ministres, prenant part spontanément à la manifestation, avait pour objectif de renvoyer « l’image d’un courant uni et cohésif », à la veille de ses élections internes, selon notre informateur, citant des sources du CPL.
Ce qui n’a pas empêché, semble-t-il, ni le ministre Gebran Bassil, relayé par le ministre Élias Bou Saab, ni le député Alain Aoun, et avec lui le député Ibrahim Kanaan, de marquer respectivement leur présence parmi les manifestants, lutte de succession oblige à l’intérieur du parti.
Sur un autre plan, si le mouvement aouniste avait en partie pour objectif de rappeler à toutes les parties que « le CPL est libre et souverain et agit sans consulter personne », selon des sources du parti orange, cela n’a pas empêché que des reproches lui soient adressés par les milieux politiques chrétiens : dans son discours, le secrétaire général du CPL, Pierre Raffoul, a mentionné la résistance du Hezbollah, en omettant de mentionner la résistance chrétienne – le comble pour une manifestation qui se targue d’être au nom des « droits des chrétiens », ce qui n’a pas été sans indisposer certains partisans. C’est que, selon un observateur, « la visite du ministre Zarif a mis la montre à l’heure du compromis, tandis que la montre aouniste est toujours arrêtée sur la résistance et la moumana’a ».
Le mouvement de la rue hier portait toutefois un message aux effets directs, susceptibles de limiter le décalage du CPL : survenant à la veille du Conseil des ministres aujourd’hui, la manifestation aouniste avait pour but principal de prévenir un scénario qui se préparait pour la réunion ministérielle. Le Premier ministre avait prévu de soumettre au débat les dossiers urgents, notamment celui des déchets, reléguant au second plan le débat sur les nominations sécuritaires, au risque de pousser les ministres aounistes à se retirer de la séance – auquel cas la réunion se poursuivrait sans eux. C’est donc un message paradoxal, alliant mise en garde et appel au « partenariat », que le CPL a lancé hier. Et qui pourrait se traduire aujourd’hui par une entente, devenue imminente, sur le mécanisme de prise de décision, trois mois après une situation de pseudo-démission du cabinet.