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Une forme plus insidieuse de blocage ministériel pourrait apparaître

La situation

Sandra NOUJEIM

Il semble que ce ne soit pas dans la teneur des consultations parlementaires non contraignantes qu’il faudrait chercher des indices de la configuration du prochain gouvernement, laquelle est l’objet de concertations parallèles, plus restreintes, entre les chefs des différents blocs et le Premier ministre, Saad Hariri.

Ce que l’on retiendra toutefois de la première journée de consultations formelles menées par ce dernier hier à l’hémicycle est d’abord « la tendance » (et seulement la tendance) à former un cabinet de trente ministres, sachant que les échanges se font « comme si l’on était toujours dans une configuration de 24 ministres », rapporte une source proche du courant du Futur, qui précise que « Saad Hariri reste favorable à un nombre de portefeuilles restreint ». Mais l’acharnement à prendre part au prochain cabinet sous le label de « l’union nationale » serait tel qu’il pourrait fort bien en imposer l’élargissement.
En outre, les quatre portefeuilles dits régaliens (l’Intérieur, la Défense, les Finances et les Affaires étrangères) continuent de faire l’objet de tiraillements : par exemple, « quatre blocs parlementaires » auraient exprimé jusque-là à Saad Hariri leur souhait de se voir confier le ministère des Finances, rapporte la même source, qui confirme toutefois que le portefeuille en question finirait par être maintenu entre les mains du camp berryiste.
Cette quasi-certitude est confortée par le souci du Premier ministre de ménager le président de la Chambre, Nabih Berry, de surcroît sur conseil de plus d’une partie politique, dont le député Walid Joumblatt.
La rencontre des trois présidents jeudi à Baabda aurait ainsi été marquée par « une convivialité entre MM. Berry et Hariri », ayant encore déteint hier sur leur rencontre au Parlement préalablement aux consultations, puis lors de la réunion entre le Premier ministre et le bloc berryiste.
La bouderie du président de la Chambre, lésé de ne pas avoir été consulté directement sur le compromis de la présidentielle, s’est avérée résorbable tant bien que mal par une répartition des portefeuilles en sa faveur.
Mais en alimentant sa bouderie, M. Berry servirait un enjeu politique qui dépasse la formation du cabinet, pour toucher à l’équilibre des pouvoirs. L’objectif serait de constituer une opposition de l’intérieur du cabinet, dont le noyau dur serait les ministres chiites pris comme un seul corps.
Aussi, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a-t-il chargé hier solennellement M. Berry de mener les négociations au nom du mouvement Amal, mais aussi du Hezbollah. « Si Amal ne participe pas au gouvernement, le Hezbollah n’y participera pas non plus », a-t-il déclaré.
Le tandem chiite entend donc accaparer la représentativité chiite dans le prochain cabinet – comme Michel Aoun l’avait fait pour la représentation chrétienne. Les ministres chiites du gouvernement pourraient ainsi se constituer en minorité de blocage au regard du pacte national.
Notons qu’à force d’avoir été trituré par certaines parties politiques, le pacte n’est plus synonyme d’équilibre islamo-chrétien, mais dénote de facto un équilibre strictement confessionnel entre les différentes communautés du pays. Certes, dans une configuration de trente ministres, les sunnites, ainsi que les maronites, se verraient eux aussi attribuer respectivement six portefeuilles. Mais la question reste de savoir s’il est possible de briser le monopole du tandem chiite sur la représentation de sa communauté au gouvernement, alors même les ministres sunnites et druzes incluront très probablement des noms ne gravitant pas dans l’orbite du courant du Futur ou de Walid Joumblatt, comme Fayçal Karamé ou Talal Arslane.
Au tiers de blocage numérique (qui trouve prétexte dans la Constitution qui prévoit la démission du cabinet en cas de démission du tiers de ses ministres) pourrait se substituer une nouvelle minorité de blocage (les communautés) encore plus insidieuse, s’inspirant d’une dénaturation de la logique consensuelle.
Cela n’exclut pas, du reste, que cette nouvelle minorité de blocage ne reprenne pas éventuellement sa forme initiale, plus classique, celle du tiers de blocage (numérique). En effet, certains noms circulent qui pourraient éventuellement se greffer sur l’alliance ministérielle chiite. Il y aurait aussi une possibilité que les partis prosyriens soient inclus dans le cabinet.

Zarif lundi à Beyrouth ?
En somme, un gouvernement élargi donnerait au Hezbollah le moyen de faire contrepoids à Saad Hariri, pas l’inverse.
Mais si ce dernier concéderait le cabinet de trente, c’est d’abord parce que le mandat Aoun est placé sous le slogan retentissant de la réconciliation et du consensus. Saad Hariri se verrait contraint de servir tout le monde au nom du consensus et de l’impératif qu’il s’est imposé de revitaliser le pays.
L’autre raison est que le camp berryste s’attache à un cabinet d’union nationale, presque comme une condition sine qua none à sa participation – et celle subséquente du Hezbollah.
Enfin, les milieux du courant du Futur continuent de parier sur le fait que toute manœuvre visant à bloquer le cabinet Hariri ne serait pas un coup porté contre ce dernier, mais contre le président de la République. Ce serait une affaire entre Michel Aoun et le 8 Mars, selon ces milieux.
Or ce pari a été nettement affaibli hier par le discours de Hassan Nasrallah, lorsqu’il a évoqué « une relation de confiance inébranlable » avec le général Michel Aoun. Une sorte de rappel à l’ordre, que M. Nasrallah a assorti d’une injonction générale : « Nous demandons que tout le monde fasse en sorte que le mandat de Michel Aoun puisse prendre son essor. »
Pour l’ancien député Farès Souhaid, ces propos véhiculent « une demande formelle de la part du Hezbollah à l’adresse de Michel Aoun de se solidariser avec le 8 Mars ». Ce faisant, M. Nasrallah aurait carrément « détruit l’image du président fort qui se veut à égale distance de tous et qui est censé renforcer l’État aux dépens de la milice », estime M. Souhaid.
De fait, on apprend que le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, devrait arriver lundi soir à Beyrouth pour féliciter le président Michel Aoun de son investiture. Il devrait être reçu le soir même à dîner par le ministre Gebran Bassil, et prévoirait de s’entretenir avec le président de la Chambre. Doucement, le 8 Mars raccommode ses fêlures…