IMLebanon

Les blindés US exhibés par le Hezbollah supplantent le marchandage gouvernemental

 

Jeanine JALKH 

Le paysage du bazar de la formation du gouvernement qui, pour certains, pourrait voir incessamment le jour, et pour d’autres, pas de sitôt, a été quelque peu brouillé par les premières répercussions de la diffusion de photos, non authentifiées, montrant des blindés de fabrication américaine lors d’un défilé militaire du Hezbollah à Qousseir, non loin de la frontière. L’armée libanaise, qui possède ce type de véhicules (des M113), a immédiatement montré patte blanche tout en s’abstenant de faire une quelconque référence au Hezbollah.
Ce rebondissement, qui a suscité des interrogations au sein de l’administration américaine – qui se dit étonnée de voir ses blindés aux mains d’un groupe figurant sur sa liste d’organisations dites « terroristes » –, a suscité des réactions multiples aussi bien au sein de l’armée libanaise, qui bénéficie depuis des années de dons américains octroyés sous forme d’armes et d’équipements, que dans les milieux politiques de part et d’autre. Comme on pouvait s’y attendre, ce sont plusieurs versions qui ont circulé hier localement pour tenter d’expliquer, de dénoncer ou de démentir certaines informations liées à l’affaire.
À l’heure où le Liban vient d’inaugurer une nouvelle phase après l’élection d’un nouveau président – dont on connaît l’attachement à l’armée et la volonté explicite de la consolider depuis son discours d’investiture–, un incident de cette envergure risque d’entraîner dans son sillage de lourdes conséquences sur l’image de l’institution militaire et sur les promesses d’aide à venir, notamment de la part des Américains et de l’Arabie saoudite, assurent des observateurs.
Après le démenti concis publié par l’armée libanaise qui a assuré que les véhicules militaires observés sur les photos ne lui appartiennent pas, les milieux du Hezbollah et du CPL ont minimisé l’affaire qui, d’après eux, n’a aucune connotation interne et ne saurait affecter ni embarrasser le nouveau chef de l’État.
Interrogées par « L’OLJ », deux sources proches du Hezbollah ont indiqué que s’il y avait un message à retenir de cette démonstration de force « où figuraient également des chars russes et pas seulement américains », c’est bien l’idée que le Hezbollah est devenu une « force régionale avec laquelle il faut désormais compter ». « Le message est exclusivement en rapport avec la situation du terrain en Syrie et n’a aucune connexion avec le Liban, encore moins avec l’idée d’une tentative d’embarrasser le chef de l’État », assure l’une des sources. En soirée, des informations diffusées dans les milieux du parti chiite ont laissé entendre que ces blindés, trois en tout, représentent un butin de guerre pris aux milices pro-israéliennes d’Antoine Lahd, au lendemain de la libération en 2000 de la partie du Liban-Sud jadis occupée par l’État hébreu.
Une source proche des milieux diplomatiques américains assure de son côté à « L’OLJ » que ce n’est pas tant l’armée libanaise, avec qui les États-Unis « traitent en toute confiance depuis des décennies, qui pose question, que le timing et la volonté de ternir l’image d’une institution qui a fait ses preuves aux yeux des Américains ». Cette source confirme cependant qu’une enquête a été ouverte à Washington pour en savoir davantage sur cette affaire.
Dans certains milieux du CPL, on croit également savoir que ces photos, qui ont « probablement été fuitées par le Hezbollah aux médias », sont à destination interne en Syrie et non au Liban.
Plus direct, Nabil Nicolas, un député du bloc du Changement et de la Réforme, rejette toute responsabilité de l’institution militaire libanaise dans cette histoire. « La charge de la preuve incombe aux États-Unis. C’est à eux de s’assurer où va leur armement et comment il est utilisé au final », a-t-il dit, rappelant comment par le passé, les armes américaines ont souvent atterri aux mains des adversaires de Washington, comme les talibans en Afghanistan et, plus récemment, les organisations radicales islamistes en Syrie. Selon lui, cette affaire ne devrait aucunement affecter l’aide de trois milliards de dollars destinée à l’armée que l’Arabie saoudite s’apprêterait aujourd’hui à débloquer.
L’annonce d’une aide de 3,5 millions d’euros à l’institution militaire faite hier par l’ambassade d’Italie est, en tous les cas, un signe clair de renouvellement de la confiance investie dans la troupe.
Moins rassuré, le bloc parlementaire du Futur a stigmatisé l’initiative du Hezbollah dans laquelle il a vu « des messages adressés dans toutes les directions » et dénoncé une nouvelle tentative de faire prévaloir l’intérêt de l’Iran sur celui du Liban.

Gestation
Entre-temps, les tractations pour la mise sur pied d’un nouveau gouvernement se poursuivent pour surmonter les derniers obstacles. Alors que l’on craignait que les entraves proviennent essentiellement du président de la Chambre qui voulait en découdre avec le président, que lui et son bloc ont refusé d’élire, et avec le Premier ministre qu’il accuse d’avoir concocté avec Michel Aoun un accord secret sans son aval, les derrières embûches à la naissance du futur exécutif seraient aujourd’hui causées notamment par les demandes des Forces libanaises, assurent des observateurs. La formation de Samir Geagea ne s’est toujours pas faite à l’idée de renoncer au ministère de la Défense qu’elle convoite depuis le début du marchandage. La dernière « offre » en date qui circule depuis hier pour tenter d’amadouer les FL – l’octroi du poste de vice-Premier ministre, de trois ministères de services et d’un quatrième conjointement choisi par les FL et le chef de l’État – pourrait jouer dans le sens d’un dénouement rapide.