Le cabinet formé par Saad Hariri ne sera pas le premier gouvernement du mandat Aoun, mais un gouvernement représentatif des équilibres qui se trouvent aujourd’hui à la Chambre des députés, au mandat prorogé. C’est ce qu’affirment en tout cas des milieux du Courant patriotique libre (CPL), qui disent ne pas s’attendre à une quelconque once de positivité de la part des parties politiques avant les prochaines législatives. Partant, le cabinet Hariri sera uniquement « celui du possible ».
Le président de la République déploie ses efforts pour aplanir les obstacles qui empêchent la formation du cabinet. Aussi a-t-il appelé, dans ce cadre, à l’ouverture d’une nouvelle page avec toutes les forces politiques, cherchant à les intégrer au sein d’un cabinet d’union nationale, sans veto contre quiconque, même ses opposants.
Cependant, la même chose ne peut pas être dite du Hezbollah, qui distribue les veto à l’encontre de forces politiques et de personnalités. Les Forces libanaises ont ainsi été « interdites » de portefeuille régalien, comme la Défense, mais aussi des Télécoms… et même de la Justice. De plus, le parti chiite a expressément demandé au chef de la diplomatie, Gebran Bassil, de rester à son poste, et adressé différents messages à diverses parties à travers son responsable sécuritaire, Wafic Safa, outrepassant le mandat de négociateur en son nom qu’il avait lui-même octroyé à Nabih Berry. Partant, c’est le Hezb qui est aujourd’hui pointé du doigt comme celui qui bloque la genèse du cabinet, tandis que toutes les autres composantes politiques ont fait preuve de souplesse pour faciliter la mission de MM. Aoun et Hariri. Même les FL n’ont pas répondu à l’obstructionnisme du parti chiite, par souci de voir le nouveau régime se mettre en place, dont elles constituent l’un des piliers. Or, c’est précisément cela qui inquiète et dérange le Hezbollah, lequel cherche à semer la discorde entre le CPL et son nouvel allié.
Pour les FL, la volonté de M. Berry d’intégrer le parti Kataëb, les Marada, le Parti syrien national social et le Parti démocratique libanais au sein du nouveau cabinet serait une manœuvre pour mettre en place une sorte de tiers de blocage face au nouveau tandem chrétien, et son allié, le courant du Futur. Ce comportement reflète, selon une source FL, toute la commotion et la gêne créées par la réconciliation FL-CPL chez certaines parties, qui ne s’y attendaient guère. Certaines ont d’ailleurs manqué à leur parole, alors qu’elles avaient promis qu’elles respecteraient les fruits de l’entente interchrétienne.
Du côté du Hezbollah, l’on se refuse à parler du nouveau gouvernement et des concertations en cours. Pour la banlieue sud, « ce sont les événements extérieurs qui intéressent actuellement le Hezbollah, pas les considérations locales ». C’est pourquoi les tâches locales auraient été confiées à M. Berry – ce qui n’empêche naturellement pas le Hezb d’intervenir directement là où il le juge nécessaire…
Le spectre des législatives de 2009 rôde de nouveau sur le Liban. Le Hezbollah avait placé la barre très haut, estimant, à l’époque, que le scrutin était un référendum sur la « résistance ». Il pensait l’emporter aisément, avec ses alliés du 8 Mars, et souhaitait que la majorité gouverne et que la minorité soit dans l’opposition, hors du pouvoir. Défait, il a imposé sa participation au cabinet, bloqué les institutions, jusqu’au coup de force du 7 mai 2008 – c’est-à-dire jusqu’à annuler la victoire par les urnes par la contrainte des armes. Le même scénario se répétera-t-il si le Hezbollah ne sort pas triomphant des urnes en 2017 ? On peut le craindre. Au mieux, le Hezb gouvernera seul avec ses alliés, au pire, il sera une fois de plus au pouvoir, au sein d’un cabinet d’union nationale. Le parti chiite, embourbé en Syrie, ne saurait se passer d’une couverture légale, qui constitue pour lui une protection face à d’éventuels périls en provenance de l’extérieur.
La parade effectuée par la milice du parti à Qousseir n’est cependant pas de bon augure à ce niveau. Elle précède celle de l’armée libanaise, le 22 novembre, et intervient à la veille de la passation des pouvoirs aux États-Unis. Mais que fera le parti chiite de ces blindés une fois que sera venu le temps de quitter la Syrie et de retourner au Liban? Comment fera-t-il face à d’éventuelles poursuites étudiées par la communauté internationale contre les protagonistes de la guerre syrienne ? Combien le Liban peut-il encore supporter? Autant de questions qui restent pour l’instant sans réponses, mais qui risquent de s’imposer rapidement sur la scène politique dans l’étape à venir.