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La naissance de l’équipe Hariri bute encore et encore sur le nœud chiite

Tilda ABOU RIZK |

 

Le Premier ministre désigné, Saad Hariri, aurait bien aimé former son équipe avant le 73e anniversaire de l’Indépendance, que le Liban célèbre demain, mais les tractations du week-end n’ont pas permis d’aplanir les obstacles politico-communautaires qui se dressent devant la naissance du cabinet.
On se retrouve donc pratiquement à la case départ avec, pour constante, les tiraillements larvés entre Aïn el-Tiné et Baabda qui traduisent plus une crise de confiance qu’un simple bras de fer autour de la répartition des portefeuilles ministériels. Les séquelles de la crise née de l’accord Aoun-Hariri qui avait permis de débloquer la présidentielle mais duquel Nabih Berry avait été écarté n’ont toujours pas été gommées.
Ni Nabih Berry ni Michel Aoun ne sont disposés à jeter du lest par rapport au nœud que représente notamment le désir du président de la République de nommer un ministre chiite. Entre les deux, c’est la guerre des conditions qui est déclarée. Pour accepter que Baabda nomme un ministre chiite – qu’il avait initialement refusé – en même temps que deux autres, un chrétien qui serait Habib Frem, et un sunnite qui serait Fayçal Karamé, Nabih Berry exige de connaître au préalable l’identité du ministrable, ce que le président Aoun refuse, partant du principe que le tandem Berry-Hezbollah est représenté par cinq ministres et qu’il lui appartient de nommer un ministre chiite qui serait à égale distance de tout le monde.
Durant tout le week-end, des contacts étaient menés dans les coulisses entre Baabda, Aïn el-Tiné et la Maison du Centre, afin de défaire ce nœud. Ces efforts sont cependant restés vains, ce qui a fait dire à un observateur que Nabih Berry semble toujours déterminé à ne pas concéder facilement à Michel Aoun les instruments nécessaires à un démarrage en force du régime, tout comme il avait fait en sorte que son élection ne soit pas facile non plus.
Ce qui est presque sûr, c’est que le gouvernement ne sera pas mis en place d’ici à demain. Les plus optimistes pensent que l’équipe Hariri verrait le jour d’ici à quelques semaines pendant que d’autres n’écartent pas la possibilité que Tammam Salam continue d’expédier les affaires courantes pendant quelques mois encore.
À l’origine de ce pronostic pessimiste, des données qui vont au-delà de la simple querelle autour de portefeuilles ministériels ou du quota des uns et des autres au sein du nouveau gouvernement. Des données confortées par la double parade du Hezbollah à Qousseir et du Tawhid de l’ancien ministre Wi’am Wahhab, hier, à Jahiliyé. Les deux véhiculaient des messages forts dans plusieurs directions. « Le timing des deux parades est on ne peut plus éloquent », commente-t-on de sources politiques qui y voient un message direct adressé à Michel Aoun, « le président fort soutenu par deux courants tout aussi forts, en terme notamment de représentativité populaire, le courant du Futur sunnite et les Forces libanaises chrétiennes ». L’alliance entre le Courant patriotique libre du général Aoun et les Forces libanaises de Samir Geagea, à laquelle le courant du Futur a fini par s’associer, ne peut pas ne pas déranger le Hezbollah dans la mesure où elle risque à terme de remettre en cause l’équilibre des forces dans le pays, notamment si le trio s’engage comme un seul bloc aux prochaines législatives, souligne-t-on de mêmes sources.
La démonstration de force à Qousseir d’abord, puis à Jahiliyé, où Wi’am Wahhab a tenu des propos ambigus s’articulant autour d’une nébuleuse « légitime défense » afin de justifier la création des « brigades du Tawhid », sert aussi à rappeler au régime les limites de son action. Sans aller jusqu’à entériner la déclaration de Baabda, dans son discours d’investiture, le président Aoun avait quand même évoqué la neutralité du Liban, un concept à l’antipode de la doctrine même du Hezbollah engagé dans pratiquement toutes les guerres qui se déroulent dans la région.
Le deuxième message véhiculé par la parade du Hezbollah – et dans une moindre mesure par celle du Tawhid dont l’importance a d’ailleurs été minimisée par le chef du PSP, Walid Joumblatt – est d’ordre régional et met en relief la dimension transfrontalière de l’action du Hezbollah qui échappe de ce fait au contrôle de l’État libanais. Dans le même temps, il montre à quel point le dossier libanais reste intrinsèquement lié à celui de la région et plus particulièrement à la guerre en Syrie, ce qui implique, de sources concordantes, le risque d’un maintien du blocage du dossier gouvernemental jusqu’à ce que l’issue de la bataille d’Alep – cruciale pour le régime syrien et son allié, le Hezbollah – se dévoile.
C’est dans ce contexte qu’un émissaire saoudien, Khaled al-Fayçal, arrive aujourd’hui à Beyrouth, rapporte notre chroniqueur diplomatique Khalil Fleyhane. Dépêché par le roi Salmane ben Abdel Aziz, il doit notamment remettre au président Michel Aoun une invitation officielle à Riyad et discuter avec lui nombre de sujets d’intérêt commun, dont la situation dans la région.