C’est à une véritable bataille politique que se livre le 8 Mars, et surtout le tandem chiite, par le biais du processus de formation du gouvernement, pour contenir dès le départ le mandat du président Michel Aoun, et « rogner les ailes » de ce dernier.
Ainsi, ce tandem prétend-il à des portefeuilles bien précis, et va même jusqu’à exiger nominalement le choix de certains ministres, dans un effort pour exercer un véritable droit de regard sur le gouvernement. Un droit de regard que le président Michel Aoun et le Premier ministre désigné, Saad Hariri, ne sont pas près de lui accorder. Les deux passent et repassent en revue des formules pouvant satisfaire toutes les parties. Durant leur dernier entretien lundi, ils se sont entendus sur une formule qui serait celle du « ni vainqueur ni vaincu » que Saad Hariri va s’employer à matérialiser dans les prochains jours, à travers des contacts avec les forces politiques concernées par le dossier gouvernemental.
De sources politiques, on s’attend à ce que le gouvernement voie le jour samedi si les « opposants » réagissent favorablement aux propositions de M. Hariri. Mais la question est de savoir si Amal et le Hezbollah seraient effectivement disposés à alléger la pression sur le régime. L’attaque contre la présidence de la République à travers des critiques dures contre le chef du CPL, Gebran Bassil, lancées hier par le biais d’un confrère arabophone proche du tandem n’augure rien de bon, d’autant qu’elle constitue une mise en garde évidente aussi bien à Michel Aoun qu’à Saad Hariri. Elle fait suite à des rumeurs selon lesquelles le chef de l’État, excédé par l’attitude de ses alliés chiites, aurait proposé au Premier ministre désigné de former son équipe avec ou sans ces derniers, si leur opposition persiste.
Il aurait également proposé, pour faciliter la mise en place du gouvernement, de confier aux Forces libanaises un des portefeuilles qu’il aurait souhaités avoir dans sa part. Mais le tandem chiite continue d’opposer un veto aux Forces libanaises, auxquelles il refuse un portefeuille régalien, celui de la Défense, avant de contester le nombre de ministres qui va leur revenir dans le projet de gouvernement en cours : à savoir la vice-présidence du Conseil ainsi que quatre autres portefeuilles, dont celui des Affaires sociales, de l’Information et du Tourisme.
Pour des sources ayant participé à l’accord de Taëf, ces exigences, ainsi que celle de la formation d’un gouvernement d’union, vont à l’encontre de l’esprit de cette entente, dans la mesure où ils transforment le gouvernement en un mini-Parlement, éliminant par là même le droit de contrôle du Parlement sur les actions du gouvernement.
Dans une référence historique au retrait de l’armée syrienne du Liban, en 2005, ces sources reprochent à Nabih Berry de ne pas avoir convoqué la Chambre, après ce retrait, et d’avoir donc fermé l’œil sur toutes les prévarications et scandales de corruption qui ont marqué la période de la tutelle syrienne au Liban. Selon ces sources, l’accord de Taëf limite aux seuls Premier ministre désigné et chef de l’État le droit de former le gouvernement, les diverses formations politiques pressenties pour entrer au gouvernement devant soumettre leurs exigences par écrit, et proposer pour chaque portefeuille trois noms de ministrables parmi lesquels le Premier ministre désigné et le président de la République choisissent à leur convenance.
Selon des sources politiques, le « droit de regard » réclamé par le président de la Chambre, au nom du mouvement Amal, du Hezbollah et des partis chrétiens qu’ils affirment représenter, n’est ni plus ni moins qu’une tentative d’imposer, par la tangente, une nouvelle coutume constitutionnelle en vertu de laquelle la parité islamo-chrétienne entérinée à Taëf serait remplacée par une triparité chrétienne-sunnite-chiite.
Pour des observateurs, cette tentative s’oppose de manière directe aux orientations que le président Michel Aoun a cherché à imprimer à son mandat, dans le discours d’investiture. Et de rappeler que M. Aoun a inscrit son mandat dans le cadre du respect des accords de Taëf, qu’il s’est promis d’appliquer entièrement.
Ces orientations ont surpris les forces chiites et leur ont fait craindre un revirement des options qui étaient celles du chef de l’État avant son élection. Et ces milieux de commenter une phrase de Gebran Bassil dans laquelle ce dernier avait affirmé que « le Aoun de Rabieh était l’allié du Hezbollah, mais le Aoun de Baabda est le père de tous les Libanais et à égale distance de tous ». Selon ces sources, le discours d’investiture dans lequel le président Aoun s’engage à respecter l’accord de Taëf, à garder le Liban à distance des conflits régionaux et à appuyer ses forces armées, sans référence à la résistance, a « indisposé » le président de la Chambre et le Hezbollah, ainsi que certaines formations du 8 Mars, qui tentent aujourd’hui de « ramener le président Aoun à ses premières options ».
En échange, des observateurs libanais et étrangers encouragent le régime à rester fidèle aux options du discours d’investiture et à tenir le Liban à l’écart des axes régionaux, en particulier du clivage sunnite-chiite, afin de préserver la grande particularité du Liban, le vivre-ensemble. Ces sources, et notamment des milieux diplomatiques, conseillent au Liban de « prendre patience », confiant dans le fait que le gouvernement sera finalement formé, contrairement aux souhaits de ceux qui entravent sa formation, en comptant sur des bouleversements extérieurs pour hausser la voix et chercher à imposer leurs conditions. Selon ces sources, la formation du nouveau gouvernement obéira à la même dynamique qui a finalement conduit, à la surprise de tous, Michel Aoun à la présidence.