L’éclairage
« Le Courant patriotique libre (CPL) et les Forces libanaises (FL) sont à l’origine des problèmes qui accompagnent la formation du cabinet, et le président Nabih Berry refuse que le député Sleiman Frangié soit marginalisé. » Ces propos, rapportés par un récent visiteur de Aïn el-Tiné, constituent un message supplémentaire adressé par le tandem chiite Amal-Hezbollah au nouveau mandat, et plus précisément à l’alliance CPL-FL, notamment après la manchette, mardi, d’un grand quotidien local. Pourtant, le Hezbollah a démenti hier à un cadre du CPL vouloir adresser un message quelconque au mandat. Les FL semblent penser le contraire et y voient une volonté manifeste de cibler le nouvel axe chrétien pour le dissoudre, et faire sauter l’un des verrous qui protègent actuellement Baabda.
Pour le bipôle chiite, le nouveau front chrétien est l’expression d’une crise qui pousse le tandem CPL-FL à vouloir s’accaparer tous les portefeuilles chrétiens dans une volonté « d’élimination de l’autre », à commencer par le leader des Marada. Mais pour les FL, il y a derrière le comportement des pôles chiites une volonté de torpiller les forces chrétiennes et de les monter les unes contre les autres, pour fragiliser Baabda et empêcher ainsi le nouveau président de la République de mettre en œuvre son discours d’investiture, en le coinçant dans son ancien positionnement, au sein du 8 Mars. C’est également dans ce sillage qu’il conviendrait de replacer, toujours de source FL, le blocage par le duo chiite du processus de formation du nouveau cabinet. Le Hezbollah et Amal cherchent à donner l’impression que le nœud est interchrétien, en plaçant la question de la représentation des Marada face à un pseudo-monopole des FL et du CPL sur les portefeuilles chrétiens, ou encore en donnant l’impression qu’il serait interdit au parti Kataëb de prendre part au nouveau cabinet.
Effectivement, le tandem chiite estime que la quote-part accordée aux FL est surdimensionnée et que cette exception, jugée injustifiable, devrait être accordée à toutes les autres parties qui participent au cabinet. Mais, côté FL, l’on se dit surpris par ce genre de réactions, et l’on s’interroge : Nabih Berry – entre autres leaders musulmans – n’a-t-il pas toujours plaidé en faveur d’une réconciliation interchrétienne ? Les chrétiens n’ont-ils pas été accusés de perpétuer la vacance présidentielle en raison de leurs différends ? Pourquoi donc tirer à boulets rouges sur les deux partis chrétiens les plus représentatifs à partir du moment où ils ont réussi à s’entendre ? D’autant que ces attaques proviennent d’un bipôle qui accapare lui-même la représentation chiite depuis un bon moment, sans que cela ne lui crée le moindre questionnement métaphysique… Qu’est-il donc requis ? Un retour au conflit interchrétien pour satisfaire les velléités du tandem chiite ?
Pour les milieux du CPL, les critiques adressées au binôme Rabieh-Meerab sont irrecevables et visent le président Aoun lui-même. C’est le tandem chiite lui-même qui pratique la logique de l’élimination au sein de sa communauté sur le plan politique, précisent ces milieux. Aussi est-il vain qu’il cherche à reporter le conflit chiito-chrétien qui se met en place actuellement à l’intérieur de la communauté chrétienne, en prenant prétexte des Marada, notent les milieux aounistes.
En vérité, le Hezbollah craindrait désormais ce que pourraient être les options présidentielles du général Aoun, après plusieurs prises de position du nouveau locataire de Baabda jugées inquiétantes par le parti chiite – sans oublier l’offensive de charme pratiquée à son égard par l’Arabie saoudite et les pays du Golfe. L’attaque menée tous azimuts contre la participation FL au cabinet serait motivée par des craintes sérieuses et viserait à briser dès le départ les ailes du nouveau mandat, empêcher le chef de l’État de prendre appui sur ses alliés pour pouvoir réaliser ses objectifs, faire barrage à une nouvelle force chrétienne de poids, disloquer toute tentative d’alliance électorale du tandem chrétien avec le courant du Futur et le Parti socialiste progressiste aux prochaines législatives, freiner la réouverture du Liban sur son environnement arabe, stopper tout positionnement progressif du Liban sur une neutralité à l’égard des conflits régionaux et torpiller l’accord de Taëf et la formule paritaire pour pousser vers une répartition par tiers.
Tout cela amène un député à dire que le Hezbollah ne voulait pas d’un président de la République ; pas même de son champion déclaré, Michel Aoun. Sa logique de désubstantialisation des institutions se poursuit donc aujourd’hui, par des moyens différents.