Comme les dernières ondes des cercles concentriques formés, sur la surface de l’eau, par les ricochets d’un projectile, les promesses de nouvelles initiatives à même de délier les nœuds au niveau de la formation du cabinet se font rares et diffuses. Un air de déjà-vu se dégage des discours, notamment de responsables du Hezbollah qui pressent les parties à former au plus vite un cabinet, de la même manière qu’ils avaient, sous la vacance présidentielle, appelé les parties qui ne boycottaient pas la séance électorale à élire au plus vite un président.
Le blocage du gouvernement, confirmé par les milieux du courant du Futur, tient de moins en moins au portefeuille des Marada – même si le nœud à ce niveau persiste.
Le député Sleiman Frangié reste attaché à sa position de départ : obtenir l’un des trois portefeuilles de service importants (les Télécommunications, l’Énergie ou les Travaux publics), quitte à ne pas prendre part au cabinet. Selon des milieux proches des Marada, cette position ne se veut en aucun cas une entrave à la mise sur pied du cabinet. Parce que, au lieu de s’attacher à un portefeuille précis, similaire à l’attachement du ministre Gebran Bassil aux Affaires étrangères, « retardant de dix mois la formation du cabinet Salam », le courant des Marada propose un éventail de trois ministères et garde surtout ouverte l’option de ne pas prendre part au cabinet, le cas échéant. Une option qu’auraient toutefois rejetée en chœur le président de la Chambre Nabih Berry, le Hezbollah, ainsi que le Premier ministre désigné, Saad Hariri, « les trois partageant le souci commun, dès le début des négociations, d’inclure les Marada dans la formation ministérielle ».
L’on rapporte en outre que les Marada « n’ont aucun problème avec les Forces libanaises », et que la seule embûche à leur participation reste Gebran Bassil qui, « au lieu d’orienter le nouveau mandat vers l’ouverture, a fait prévaloir une politique exclusiviste ». Il s’opposerait à toute participation des Marada, y compris par le biais de l’Éducation (même si ce portefeuille a été décliné par les Marada, apprend-on de sources concordantes). Jusqu’à hier soir, rien de nouveau n’a directement été proposé aux Marada pour tenter un nouveau déblocage.
Tout cela reste un détail dans le cadre plus général des négociations.
Certes, le courant du Futur appuie la participation des Marada, mais le fait sans vraiment avoir le choix, cette participation étant liée à celle du tandem chiite au cabinet, que le courant du Futur aurait tout intérêt à ménager. Loin de Saad Hariri, mais aussi du chef de l’État, semble-t-il, l’idée « donquichottesque » de décider d’un cabinet de fait accompli, selon le terme d’une source du courant du Futur.
Et cela même si le tandem chiite continue de tergiverser sur la formation du cabinet, y incorporant chaque jour, directement ou indirectement, une nouvelle condition.
Il y a d’abord la condition que le président de la Chambre tente d’imposer dès le départ, celle de prendre part aux négociations ministérielles au même titre que le président de la République et le Premier ministre. « Il ne se contente pas de négocier sa propre quote-part, mais invoque sa compétence à négocier celle d’autres parties », soulignent les milieux du courant du Futur.
Une autre condition émerge officieusement de milieux du 8 Mars, celle de lier la formation du cabinet à un accord préalable sur une nouvelle loi électorale et sur la tenue des prochaines législatives.
Or, pour une source du courant du Futur proche des négociations, « ni la loi électorale n’est évoquée en marge des négociations ni les parties qui y appellent, comme le Hezbollah et le président de la Chambre, ne font montre d’une disposition à en débattre ». Sinon, pourquoi le président de la Chambre, qui avait défendu dans un premier temps le mode de scrutin mixte, défend-il désormais la proportionnelle, bien que celle-ci ait peu de chances d’être approuvée par toutes les parties ? Pour une source du courant du Futur, il ne fait plus de doute qu’« aucune entente ne sera obtenue sur une nouvelle loi électorale ». Quid de la tenue des prochaines législatives ? Cette échéance serait, elle aussi, « un détail pour le Hezbollah », ce dernier n’ayant jusque-là manifesté, aux yeux du courant du Futur, qu’une volonté de « transposer la vacance présidentielle au niveau du cabinet ».
Ainsi, la stratégie avérée du vide soutenue par le Hezbollah (pris de court par le compromis Aoun) a aujourd’hui des motifs supplémentaires : attendre que se précise la nouvelle stratégie régionale de Washington, et attendre la chute probable d’Alep afin d’en mesurer les retombées diplomatiques et militaires sur l’Iran et le régime.
En attendant, le seul enjeu du Hezbollah au Liban serait de s’assurer que le pseudo-vide continue de jouer en sa faveur. D’où l’objectif – et le seul, semble-t-il, à ce stade – de garantir que le locataire de Baabda soit avant tout l’allié de l’Iran. Non que le chef de l’État soit près de se recentrer – loin de là –, mais le Hezbollah se doit de reconfirmer, à qui veut l’entendre, que c’est lui le grand arbitre de toutes les échéances, y compris l’élection de Michel Aoun. Et le moyen le plus rapide de le faire ne serait ni par l’instauration subtile d’une répartition par tiers ni par quelque garantie au niveau de la configuration du cabinet Hariri, mais bien par le biais de Baabda. Dans ce contexte, une réunion aurait eu lieu jeudi soir entre le ministre Gebran Bassil et Wafic Safa, responsable de la sécurité du Hezbollah. Selon nos informations, les échanges « à cœur ouvert » auraient conduit le second à questionner son interlocuteur sur l’assouplissement de ses positions, et celles du chef de l’État, en faveur des pays du Golfe. D’ailleurs, comme pour faire écho à ces échanges, certains milieux proches du 8 Mars rapportaient hier à L’OLJ les questionnements du Hezbollah sur la disposition déclarée du chef de l’État à se rendre « en premier » en Arabie saoudite… Du reste, la réunion Bassil-Safa aurait été positive, annonçant même un début d’éclaircie au niveau du cabinet.
Une source du courant du Futur estime que le chef de l’État et son camp « ont cru en la possibilité de réaliser l’impossible, c’est-à-dire de concilier deux axes stratégiquement antinomiques ». Or il s’est avéré que « la formation d’un cabinet est impossible sans une prise de position claire et tranchée, de la part de Baabda, en faveur d’un axe ou de l’autre », poursuit la source.
C’est donc une position franche que le président est appelé à prendre ouvertement. À partir de là, toute autre démarche à première vue problématique, comme la visite hier au palais Bustros du ministre turc des AE, qui s’est prononcé avec virulence contre Bachar el-Assad, se réduirait à un détail de pure forme.