L’ÉCLAIRAGE
Deux messages-clés sont à retenir de la visite du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, à Beyrouth.
Tout d’abord, la nécessité pour le Liban de prendre ses distances par rapport aux conflits dans la région, et, en second lieu, la réitération du soutien inconditionnel de Paris au nouveau mandat, et ce, au plan de l’ensemble des secteurs – plus particulièrement dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Entendre que le Liban pourra ainsi compter sur la place qu’occupe la France au sein de la communauté internationale, ainsi que sur ses relations, que Paris est disposé à mettre à profit, pour aider le Liban.
Le diplomate français, qui s’est contenté de s’entretenir avec le chef de l’État, Michel Aoun, le président du Parlement, Nabih Berry, et le Premier ministre, Saad Hariri, a saisi l’occasion pour réaffirmer, d’une part, le souhait de la France de voir le Liban épargné par les crises de la région, et de voir aboutir, d’autre part, les efforts déployés par son gouvernement à la recherche d’une solution politique à la crise syrienne après l’échec des solutions militaires.
Se félicitant des efforts mis en œuvre par les différentes parties libanaises pour enfin élire un président et mettre sur pied un gouvernement préludant à la reprise de la vie institutionnelle, le ministre français a choisi d’exprimer sa satisfaction en affirmant, lors d’une conférence de presse tenue conjointement avec son homologue libanais, Gebran Bassil, que le « soleil se lève de nouveau sur le Liban ». Il a saisi l’opportunité pour transmettre une invitation au chef de l’État libanais à Paris, saluant en même temps sa décision de se rendre, en premier, en Arabie saoudite, comme l’en a informé Michel Aoun.
La visite de M. Ayrault a coïncidé avec l’arrivée, tout aussi symbolique à Beyrouth, d’un autre diplomate de haut rang, le porte-parole du ministre iranien des Affaires étrangères, Hussein Jaber el-Ansari, qui a également exprimé son optimisme à la suite du déblocage institutionnel dans le pays. Ce « progrès » au plan interne a encouragé, sur le plan externe, la reprise d’une dynamique de soutien qui s’est manifestée en termes de promesses pour accompagner le Liban durant cette phase en lui fournissant les aides requises, des engagements exprimés par plusieurs responsables étrangers de passage dans le pays. La détermination du nouveau mandat à opérer une ouverture en direction du monde arabe et de l’Arabie saoudite en particulier a été favorablement accueillie par les amis du Liban, pour qui cette initiative est susceptible de rapprocher de nouveau Beyrouth de ses voisins arabes, sans pour autant enfreindre le principe sacro-saint de la distanciation par rapport aux crises qui secouent la région et à la guerre des axes menée dans cette partie du monde.
À ce propos, le Liban officiel, qui a renoncé à employer le mot distanciation – lequel fait référence à la déclaration de Baabda et donc à un mandat et un camp politique précis –, a opté pour une terminologie plus neutre pour exprimer cette position tout en ménageant les sensibilités du Hezbollah et de son camp politique. Désormais, on parle de la nécessité de « tenir le pays à distance des crises régionales et de lui épargner leurs conséquences ».
Scepticisme
Cependant, ce climat positif ne semble pas avoir déteint sur l’ensemble des protagonistes dont plusieurs restent sceptiques devant l’image flamboyante d’une réconciliation nationale et du retour au giron de l’État.
Certaines personnalités et composantes du 14 Mars ne partagent point l’euphorie qui s’est manifestée au lendemain de la formation du gouvernement et craignent une emprise renforcée du Hezbollah, devenu, selon les propos mêmes de son secrétaire général, une force transnationale à part entière dont la mission proclamée est de mener des guerres préventives contre le terrorisme.
Les « compromis » que le courant du Futur notamment a été contraint de faire lors de la genèse du nouveau gouvernement ne sont pas pour rassurer tous ceux qui estiment que le centre de la prise de décision reste en Iran et non à Beyrouth comme on serait tenté de le croire, font remarquer les plus sceptiques. En contrepartie, le Hezbollah est prêt à laisser toute la marge de manœuvre sur le plan interne (sécurité et économie, notamment), pour avoir les mains libres en matière de décision de guerre et de paix.
Selon certains leaders du 14 Mars, il y va de l’intérêt du parti chiite de s’éloigner autant que possible, en cette phase, des tiraillements politiques internes. C’est la raison pour laquelle il a évité de s’immiscer dans le bras de fer qui a eu lieu autour du bazar de la composition du gouvernement. La même règle s’est appliquée lors de la discussion autour de la teneur de la déclaration ministérielle. Selon un membre du gouvernement présent aux débats, les représentants du parti chiite ont même été jusqu’à renoncer à la célèbre trilogie « peuple-armée-résistance » pour lui substituer la formule sur « l’attachement à la résistance » employée lors de la dernière déclaration ministérielle et adoptée par le gouvernement de Tammam Salam. On s’attend également à ce que le Hezbollah jette du lest en matière de loi électorale et s’abstienne de mettre des bâtons dans les roues, même s’il continue d’exprimer sa préférence pour la proportionnelle absolue.