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Disputes, reproches, rancœurs et règlement de comptes en Conseil des ministres

 

Politique

Parce que le gouvernement est bloqué, le Liban risque de sortir perdant d’un arbitrage et de ne pas pouvoir payer ses fonctionnaires à la fin de ce mois.

La réunion du Conseil des ministres a pris fin hier sans que la date d’une autre ne soit fixée, laissant présager le début de vacances ministérielles, que le chef du gouvernement, Tammam Salam, peut cependant interrompre pour convoquer une réunion, indispensable si jamais le ramassage et le traitement des ordures, dans le Beyrouth administratif et au Mont-Liban, sont adjugés mardi à l’une des trois compagnies qui ont pris part à l’appel d’offres.
Comme l’a expliqué Tammam Salam, le gouvernement devra débloquer des fonds pour financer le ramassage des ordures en attendant que les compagnies concernées deviennent fonctionnelles. L’histoire ne dit pas si les ministres aounistes permettront au gouvernement d’opérer des transferts de fonds des réserves du budget. Et pour cause : ils campent toujours sur leurs positions, refusant de permettre au gouvernement de fonctionner tant que l’affaire des nominations sécuritaires n’est pas tranchée dans le sens qu’ils souhaitent et que le mécanisme de prise de décision en Conseil des ministres n’est pas adopté suivant leur volonté.

Les ministres de la Justice, Achraf Rifi, et des Finances, Ali Hassan Khalil, auront beau tirer la sonnette d’alarme, expliquant le préjudice que ce durcissement porte à l’État et aux fonctionnaires, les ministres aounistes sont restés imperturbables. Le Liban a déjà perdu son droit de nommer un arbitre dans l’affaire qui l’oppose à la compagnie Imperial Jet, mais a toujours la possibilité de nommer un bureau de défense pour le représenter, faute de quoi le verdict serait prononcé in abstentia et il aura à verser à Imperial Jet la bagatelle de 300 000 dollars, a averti Achraf Rifi. Le ministre des Finances a pour sa part répété qu’il lui faut de l’argent pour payer les fonctionnaires à la fin du mois. « Je ne veux user de pression sur aucune partie, mais je demande avec insistance un transfert de fonds des réserves du budget à mon département pour pouvoir payer les salaires à la fin du mois. Je ne peux pas agir de ma propre initiative dans ce domaine et ce que je dis n’a rien à voir avec la polémique politique », a presque supplié Ali Hassan Khalil. En vain !

Bien qu’elle ait duré plus de quatre heures, la réunion était stérile en tous points et s’est limitée à un échange de reproches, en dépit des efforts du chef du gouvernement de sensibiliser les ministres frondeurs sur la gravité des dossiers en suspens, dont celui de l’arbitrage, des salaires dans le secteur public et des déchets. Concernant ce dernier point, le temps presse, comme l’a expliqué le ministre de l’Environnement, Mohammad Machnouk, parce qu’il est apparu, à la faveur des contacts avec les Européens, que les incinérateurs doivent être réservés bien à l’avance et qu’il faut également faire des réservations, suivant un calendrier-programme précis, pour pouvoir exporter les ordures, ce que le gouvernement, vu les discussions byzantines dans lesquelles il est engagé, n’est pas en mesure de faire. M. Salam a déploré la tournure confessionnelle que le dossier des déchets est en train de prendre, en attirant l’attention sur le fait qu’il s’agit d’un problème qui doit être réglé à l’échelle nationale.

Chrétiens contre sunnites
Le débat a ensuite porté sur les manifestations aounistes de mercredi et sur les messages confessionnels véhiculés par les manifestants, contestés par plusieurs ministres, notamment Rachid Derbas (Affaires sociales) qui a dit avoir été piqué au vif, en tant que sunnite, par les slogans brandis. « Hier (mercredi), j’ai senti que j’étais en danger et que je n’étais rien qu’un sunnite. Si Tammam Salam, Saad Hariri, Nagib Mikati et moi-même sommes considérés comme des daéchistes (jihadistes de l’État islamique), c’est extrêmement grave », s’est-il exclamé, consterné, en se disant également atterré par les attaques du député Ziad Assouad, mercredi, contre Rafic Hariri. Il a reproché aux ministres aounistes leur comportement, allant même jusqu’à relever que le chef de la diplomatie, Gebran Bassil, a « embarrassé son homologue iranien, Mohammad Javad Zarif, en tenant des propos allant dans le sens contraire de celui voulu par ce dernier, notamment en ce qui concerne les relations avec le voisinage arabe ». M. Bassil a d’ailleurs été pris à partie par plusieurs ministres et s’est lancé dans un long réquisitoire contre le gouvernement qu’il a repris presque textuellement au cours d’une conférence de presse qu’il a tenue au terme de la réunion (voir par ailleurs). « Notre représentation au sein du gouvernement est une insulte pour nous. Ne pas élire un président est aussi une insulte pour nous », a-t-il explosé. Boutros Harb ne s’est pas non plus gêné pour dresser un réquisitoire contre la politique aouniste et tout le préjudice qu’elle cause au Liban et principalement aux chrétiens.

Les propos du chef de la diplomatie ont été rejetés en vrac par Achraf Rifi, qui a rappelé l’effort qu’il a fourni pour améliorer la représentation chrétienne au sein des forces de sécurité, à l’époque où il était directeur général des FSI. « Lorsque vous avez renversé le gouvernement de Saad Hariri, vous avez ouvert une plaie dans les milieux sunnites. Lorsque vous vous permettez d’agir de la sorte, vous n’avez pas le droit de nous donner des leçons », a-t-il lancé à l’adresse de son collègue aouniste, avant d’insister : « En tout état de cause, nous sommes pour la coexistence et nous le resterons. Lorsque le général Aoun était à Baabda, des soldats sunnites du Akkar avait combattu à ses côtés. »

Le ministre du Tourisme, Michel Pharaon, a essayé d’assumer le rôle de médiateur, en affirmant qu’il est possible d’être d’accord sur certains points soulevés par Gebran Bassil, mais en insistant sur la nécessité de s’entendre sur les questions de sécurité et sur la gestion des affaires publiques. Même tentative effectuée par Hussein Hajj Hassan (Industrie) qui, tout en soulignant l’appui indéfectible de son parti, le Hezbollah, à Michel Aoun, a souligné son attachement à une action optimale du gouvernement « dans le cadre d’une solution qui devrait intervenir à la faveur d’un dialogue sérieux entre le courant du Futur et le CPL ». Un conseil qui a retenu l’attention de plusieurs ministres.

Akram Chehayeb (Agriculture) n’a pas caché sa consternation face à un débat qui a pris la tournure d’une querelle confessionnelle inappropriée en Conseil des ministres, alors que sa collègue, Ali Chaptini (Affaires des déplacés), a fait remarquer que tout ce discours n’aurait pas eu lieu si le Liban était doté d’un président, avant de rappeler toute l’historique aouniste en matière de blocage, pendant que Boutros Harb (Télécoms), écœuré, annonçait, après une prise de bec avec le ministre aouniste de l’Éducation, Élias Bou Saab, qu’il boudera désormais les réunions du gouvernement.

Si le sentiment donné hier est que le gouvernement est entré dans une période d’hibernation, dans certains milieux politiques, on s’arrête sur un ballet politique engagé depuis quelques jours, pour assurer que tout n’est pas perdu et qu’un déblocage reste possible. Dans ces milieux, on fait état d’efforts déployés en vue d’un rapprochement Aoun-Berry qui pourrait détendre l’atmosphère politique et favoriser un règlement dont le premier signe serait l’ouverture d’une session extraordinaire de la Chambre. Lundi, les ministres Ali Hassan Khalil et Gebran Bassil avaient tenu une réunion à cette fin, en présence, dit-on, du directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim.
Parallèlement, le chef du gouvernement entend reprendre ses concertations politiques, notamment avec le Hezbollah et le PSP, en vue d’un déblocage.