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La table de dialogue sourde aux hurlements de la rue

L’éclairage

Philippe Abi-Akl

Les discussions qui ont eu lieu autour de la table de dialogue qui s’est tenue mercredi dernier ont été des plus ordinaires, les différents protagonistes n’ayant fait que réitérer leurs positions respectives ainsi que leur refus de faire quelque compromis que ce soit. Cette « stagnation » politique détonnait clairement avec l’agitation de la rue et les nombreuses menaces visant la classe politique, voire même le régime en place. Vraisemblablement, la dynamique des protestataires ne s’est pas répercutée sur la productivité des chefs de file réunis au Parlement. Seule décision concrète qui a émané de ce rassemblement forcé, l’accord donné par les parties à participer au Conseil des ministres auquel avait appelé le chef du gouvernement afin de plancher sur le dossier des déchets. Parmi les absents toutefois, les deux ministres Gebran Bassil et Mohammad Fneich qui ont vraisemblablement voulu envoyer un message à qui veut l’entendre, à savoir leur refus d’examiner au préalable tout autre dossier que celui du mécanisme de travail au sein du Conseil des ministres. Le ministre du CPL, Élias Bou Saab, a quant à lui justifié sa présence à la réunion du Grand Sérail par l’affirmation selon laquelle son courant ne saurait ignorer un dossier écologique aussi vital auquel il faudrait trouver une solution.

Pour les forces du 14 Mars, qui restent convaincues que la table de dialogue ne saurait donner des résultats concrets, leur participation a été justifiée par la crainte d’être accusées de vouloir avaliser le marasme politique actuel. Selon un ministre issu de ce camp politique, cette participation ne saurait toutefois être traduite comme un renoncement aux constantes nationales exprimées par cette formation. Les milieux du 14 Mars ont critiqué la formule compromis consistant à défaire le nœud gordien aouniste en reportant notamment le départ à la retraite de certains officiers, dont le général Chamel Roukoz, de manière à préserver les chances de ce dernier de parvenir à la tête du commandement de l’armée. Un procédé qui risque de se faire aux dépens de l’institution militaire, estime le camp du 14 Mars qui rejette catégoriquement cette formule dans la mesure où elle risque de susciter un clivage au sein de la troupe. Qui plus est, il n’est pas acceptable de recourir à un prix de consolation toutes les fois qu’un acteur politique se met à bouder ou menace de boycotter les institutions.

Le 14 Mars maintient par ailleurs sa position au sujet de l’élection présidentielle, à savoir qu’il ne fera aucun compromis au sujet du candidat imposé par le camp adverse au profit de l’Iran et du Hezbollah. Une position qu’il maintient fermement quand bien même les États-Unis auraient exprimé, selon un ministre, leur ardent désir de voir l’élection à la première magistrature se dérouler incessamment, insistant auprès des décideurs libanais sur la nécessité d’assumer leur responsabilité et de s’accrocher au texte de la Constitution. Pour ce camp, la victoire de Michel Aoun équivaudrait à la victoire de l’axe syro-iranien.

Un ancien ministre de la Justice met en garde de son côté contre le mouvement de rue qu’il faut, selon lui, prendre au sérieux, et aborder par le biais d’une approche rigoureuse et responsable, et non rigide, pour tenter de trouver un règlement à la crise qui commence à saper les fondements de l’État. Selon lui, toute réforme doit nécessairement passer par les institutions, et non par la voie de la révolution ou par la chute provoquée du régime en place.
Un ministre se demande d’ailleurs si les prochaines élections parlementaires pourront s’effectuer loin de la corruption. Il s’interroge également sur le fait de savoir quel type de loi pourrait évincer la classe actuellement au pouvoir pour lui substituer une nouvelle élite. Le changement au Liban peut-il être amorcé d’un seul coup ou doit-il se faire plutôt de manière progressive ? se demande encore l’ancien ministre.
À ce propos, un responsable politique affirme d’ailleurs ne pas s’attendre à un changement qui dépasserait le taux des 10 % au sein du Parlement dans le meilleur des scénarios.

Du côté du 8 Mars, l’on continue de croire qu’il n’existe à ce jour aucun signe extérieur qui indique que la crise libanaise est près d’être résolue, les facteurs empêchant l’élection d’un chef d’État étant toujours de rigueur. En Occident, le mot d’ordre est à l’élection d’un président au plus tôt, une position clairement reflétée par le Conseil de sécurité de l’Onu qui considère que tout changement ou toute réforme doit inéluctablement passer par les institutions. L’expérience de l’Irak n’étant en effet pas à répéter.