IMLebanon

Une nouvelle phase a commencé…

Philippe Abi-Akl

Le Moyen-Orient entre dans une nouvelle phase. Il suffit, pour s’en rendre compte, de procéder à un examen de la situation sur tous les fronts actuels de la région. En Irak, il est question d’un « printemps irakien », à la lumière des slogans anti-influence iranienne qui ont été scandés récemment ou de l’accusation portée contre l’ancien Premier ministre pro-iranien Nouri el-Maliki, accusé d’avoir contribué à la chute de Mossoul entre les mains de l’État islamique. Au Yémen, l’influence du président Abed Rabbo Hadi Mansour est en train de s’étendre. En Syrie, en dépit des massacres tragiques commis à Douma, le régime Assad perd de plus en plus de terrain, au Nord comme au Sud, et il est désormais sérieusement question d’une transition sans Bachar, dont la perspective est de plus en plus proche.

Le Liban n’est pas en marge de cette dynamique. L’arrestation d’Ahmad al-Assir en est même un signe révélateur. L’heure n’est plus aux ingérences extérieures – dont le cheikh trublion de Saïda était une manifestation –, ni à l’escalade et à l’excitation des sentiments sectaires. Si le rôle assigné à Ahmad al-Assir est terminé, d’autres que lui, qui vivaient eux aussi à l’heure des interventions extérieures, pourraient connaître la même fin, soulignent des sources sécuritaires. La fin du phénomène Assir marquerait ainsi le début d’une série d’arrestations dans le cadre des efforts visant à rétablir la stabilité. L’ancien prédicateur de Abra pourrait aussi s’avérer précieux pour le règlement du dossier des militaires retenus par les organisations terroristes en Syrie.
Dans ses déplacements, entre Tripoli et Aïn el-Héloué, à Saïda, Ahmad el-Assir était sous surveillance continue. Une opposition à sa présence se serait manifestée à Aïn el-Héloué, dans le cadre de la révolte fathiste contre les mouvances islamistes. Se retrouvant au pied du mur, le cheikh en cavale a préféré prendre le risque de quitter le pays avec des documents palestiniens falsifiés. Mais son stratagème a été débusqué, et sa tentative de prendre la poudre d’escampette a tourné court à l’AIB, où il a été reconnu et appréhendé par un agent de la Sûreté générale. Une autre thèse voudrait que le cheikh en fuite se soit lui-même livré volontairement à la justice, pour échapper à une éventuelle liquidation et trouver refuge sous l’autorité de l’État, sa « fonction » politique étant terminée au Liban – mais cela reste encore à établir.

Un autre signe libanais du passage vers une nouvelle phase est la visite du chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Jawad Zarif, son soutien au Premier ministre Tammam Salam et aux forces militaires et de sécurité, et son appel à privilégier la stabilité et le dialogue – notamment Hezbollah-Courant du Futur – comme mode de règlement des conflits. Le message transmis par le responsable iranien au chef du Hezbollah se serait inscrit dans ce cadre, de même que le fait qu’il ait omis de se recueillir sur le mausolée consacrée à Imad Moghniyé, dans la banlieue sud.

Les propos tenus vendredi par le secrétaire général du Hezbollah pour commémorer la « victoire divine » reflètent également ce passage vers une nouvelle configuration régionale. Il est vrai que Hassan Nasrallah a renouvelé son soutien verbal au chef du Courant patriotique libre (CPL), le député Michel Aoun, mais il ne l’a pas fait avec la même intransigeance que son adjoint, Naïm Kassem, qui disait « Aoun ou pas d’élection ». D’autant que la périphrase utilisée par Hassan Nasrallah pour désigner Michel Aoun, « passage obligé vers la présidentielle », est une lapalissade en soi, puisque le chef du CPL est à la tête du bloc parlementaire chrétien le plus important… Mais le chef du CPL semble avoir plus ou moins compris l’esprit du message, puisqu’il a répondu, dans un entretien télévisé, en proposant l’idée d’une élection consensuelle… aux trois présidences. Il s’agissait là de la première fois que Michel Aoun accepte l’idée d’un président consensuel. Si Nasrallah a accusé le 14 Mars de vouloir « marginaliser ou briser Aoun » – ce que le 14 Mars dément –, il a complètement occulté de son allocution toute allusion à la décision du ministre de la Défense, Samir Mokbel, de proroger le mandat des chefs militaires. C’est pourtant là le motif essentiel qui a poussé cadres et partisans du CPL à se mobiliser dans la rue…
Du côté du CPL, des sources estiment que le courant du Futur a fait fi de toutes les promesses qu’il avait faites dans son dialogue avec les composantes aounistes, et dont le premier fruit avait été la formation du cabinet Salam. Le Futur a perdu « sa crédibilité et son éthique », soulignent ces sources, puisqu’il « refuse de reconnaître l’autre et son existence », et c’est ce qui pousse le général Aoun à l’escalade. Pour ces sources, l’ancien Premier ministre Saad Hariri a échoué dans sa mission de convaincre les responsables saoudiens d’opter pour Michel Aoun comme candidat à la présidentielle. Il n’a donc pas tenu parole, et c’est donc lui qui assume la responsabilité du blocage institutionnel actuel. Une thèse réfutée entièrement par le Futur, qui dément avoir exprimé un soutien quelconque au chef du CPL pour la présidentielle ou à son gendre, le général Chamel Roukoz, pour le commandement en chef de l’armée. Des sources du Futur soulignent que Saad Hariri était à l’origine en faveur d’un accord chrétien sur un candidat sous l’égide de Bkerké.
Il reste que les propos du chef du CPL concernant la nécessité de candidats consensuels aux trois postes présidentiels du pays semblent signifier, selon des sources bien informées, qu’il a enfin compris que la page de la candidature des ténors maronites est bel et bien tournée, et que le temps est venu pour lui de se rabattre sur le rôle de grand électeur.