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Pas de Conseil des ministres aujourd’hui, les déchets trahissent les réflexes politiques et identitaires

 

Sandra NOUJEIM 

Alors que des spéculations persistaient hier sur la tenue d’un Conseil des ministres aujourd’hui pour régler l’affaire des déchets (et possiblement débloquer les salaires des fonctionnaires et des militaires), l’on apprenait de source ministérielle que la réunion en question n’aurait pas lieu et que la solution au problème des déchets reste incertaine.

La question des salaires des fonctionnaires et des militaires, non payés depuis un mois, doit trouver une solution « dans les prochaines 48 heures », selon des sources proches du dossier, qui font état d’une « promesse donnée par des responsables politiques au commandant en chef de l’armée à la suite des contacts que ce dernier mène depuis samedi ».
Une source ministérielle révèle à L’Orient-Le Jour que le déblocage des salaires des militaires pourrait se faire en dehors du Conseil des ministres. Une solution qu’écarte pour l’instant le ministre des Finances Ali Hassan Khalil, qui a appelé, sur son compte Twitter, « à la tenue d’un Conseil des ministres pour approuver les décrets nécessaires ». C’est la formule « légale » qu’il dit préconiser, mais qui se heurte au refus des ministres du Courant patriotique libre de relancer l’exécutif tant qu’un nouveau commandant en chef de l’armée n’est pas nommé, et le mécanisme de prise de décision du gouvernement réexaminé et approuvé.

 La seule exception qui est concédée par le 8 Mars au blocage de l’exécutif est la tenue d’un Conseil des ministres consacrée à la mise en œuvre du plan Chehayeb. Or, les entraves sur ce dossier ont révélé la faillite de l’État et son incapacité à imposer un plan d’urgence d’ordre sanitaire. Les embûches ont surtout révélé l’influence dangereuse du jeu politique sur les sensibilités communautaires et régionales.
Des trois décharges prévues initialement par le plan Chehayeb (Srar au Akkar, une décharge à prévoir dans la Békaa et une réouverture temporaire de Naamé), la Békaa est le seul emplacement ayant fait l’objet d’un veto politique, en l’occurrence du Hezbollah. Une source parlementaire du parti chiite a même déclaré à L’OLJ que « le dépotoir de Srar suffirait à lui seul. Pourquoi exiger une décharge dans la Békaa si ce n’est pour des motifs communautaires ? ».
Pour les milieux du Futur, « ces propos sont de la pure provocation ». Le Futur a réussi à résorber en grande partie le mécontentement populaire au Akkar et confie que les voix discordantes de certains habitants qui continuent de s’opposer à la réhabilitation de la décharge de Srar sont « légitimes », mais « isolées et spontanées ».

En revanche, à défaut d’une volonté politique d’y aménager une décharge, le cas de la Békaa s’est avéré être plus problématique. L’option de Masnaa (zone sunnite, seule à avoir été avalisée par le Hezbollah) avait provoqué la vive indignation des habitants. « Le Futur ne s’y était pourtant pas opposé », assurent les milieux de ce courant. Alors que se prolongeait la crise des déchets, l’impossibilité de convaincre le Hezbollah d’accepter d’autres emplacements a placé le parti chiite dans une position de bloqueur de la solution. Un mauvais rôle que le parti chiite semble avoir transféré au député Talal Arslane.
Au cours de la semaine écoulée, des informations ont été diffusées, d’abord sur la détermination d’un emplacement dans la Békaa, approuvé par le Hezbollah. Une information vite rectifiée par une autre, selon laquelle le parti chiite aurait, avec Amal, accepté de fournir une décharge au Liban-Sud (à Kfour, à Nabatiyeh). « Nous avons fait de notre mieux pour une solution aux déchets », a ainsi affirmé samedi le député Ali Fayad. Or, une source du 14 Mars proche du Grand Sérail révèle à L’OLJ qu’ « il n’a jamais été question d’une décharge à Nabatiyeh, sauf dans les médias ».
(Lire aussi : Déchets : « Marche contre la maladie », nouveau cri des citoyens et des municipalités)

Un plan s’est d’ailleurs précisé ensuite, en vertu duquel la décharge de Srar devrait accueillir les déchets du Metn, de Aley et du Kesrouan, tandis que Aley, le Chouf et la banlieue sud déchargeraient leurs ordures à Choueifate, et précisément à Costa Brava, une zone du littoral. La Békaa et le Sud géreraient leurs propres déchets.
Le refus de Choueifate a vite fusé, dès samedi, par la voix du député Talal Arslane. « En toute franchise, je ne parviens pas à me faire une idée, ni de près ni de loin, sur ce projet de décharge », a-t-il déclaré hier à la suite d’une réunion d’urgence avec les responsables municipaux de la localité, annonçant toutefois une réunion mardi des responsables de la région pour décider de la question de la décharge conformément aux intérêts des habitants.Samedi, il avait déjà exprimé son opposition à un remblaiement du littoral à Choueifate pour accueillir une décharge, lors d’une réunion similaire au siège de la municipalité de Choueifate, en présence de dignitaires et d’activistes civils. Dans un communiqué, ils ont exprimé « un refus catégorique d’une solution aux déchets qui se fasse au détriment de Costa Brava, une zone maritime et touristique ». « Nous refusons catégoriquement le remblaiement des plages », avait assuré M. Arslane au cours d’une conférence de presse, se déclarant prêt à descendre dans la rue. Le député avait également souligné que « Walid Joumblatt n’accepterait aucun projet de ce type sans notre accord ». Le président de la municipalité de Choueifate avait également exprimé son opposition à l’installation d’une décharge maritime au large de sa ville.Selon le ministre Nabil de Freige, le projet de décharge à Costa Brava est en réalité un projet de réhabilitation de la façade maritime, semblable à celui qui avait été proposé à Bourj Hammoud. « C’est une offre qu’on ne peut refuser », précise-t-il, s’interrogeant sur les motifs du mécontentement injustifié, aussi bien des notables de Choueifate que des habitants de Bourj Hammoud. Ce réflexe de « refus d’accueillir les déchets des autres » est, pour le moins, paradoxal : la plupart des habitants qui refusent l’aménagement de décharges dans leurs régions, sous prétexte de les préserver, y disposent arbitrairement de leurs propres déchets.

 

(Lire aussi : Toxicité des déchets : bientôt le point de non-retour)

 

L’absence de coopération des députés du Metn et du Kesrouan est manifeste. « Il n’y aura pas de décharge, ni dans le Metn, ni au Kesrouan, ni à Jbeil », a ainsi déclaré le député Ibrahim Kanaan samedi soir, lors d’un dîner du CPL à Broumana. Pour sa part, le député Samy Gemayel avait déclaré à L’OLJ que « le Metn a longtemps abrité une décharge, qui est celle de Bourj Hammoud », renvoyant aux habitants de ce quartier le choix ou non de réhabiliter cette dernière.
Cette volonté de protéger sa région n’a pas empêché le ministre Élias Bou Saab et l’ancien ministre Fadi Abboud de construire un incinérateur à Dhour Choueir sur une propriété qui n’est pas la leur.
Une source informée du dossier espère que « les pressions politiques n’auront pas raison des revendications des propriétaires de ce terrain de faire cesser les travaux, sachant que ceux-ci se poursuivent en dépit d’une décision contraire du juge des référés ». Cette source se demande enfin pourquoi les activistes civils n’ont pas inclus ce site dans leur agenda de manifestations. En attendant la nouvelle séance de dialogue demain mardi, les réunions restreintes se poursuivent depuis samedi au Grand Sérail entre Tammam Salam, Akram Chehayeb, Ali Hassan Khalil et le président du CDR Nabil Jisr, dans une perspective de déblocage.