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Nouveau clash prévu aujourd’hui à la table de dialogue sur le thème : la « résistance » est-elle devenue caduque ?

 

Philippe Abi-Akl 

Le dialogue reprend aujourd’hui, place de l’Étoile, sur les caractéristiques du président de la République, à l’heure où les prises de position hostiles au plan Chehayeb se multiplient et où la crise des déchets ouvre la voie à la montée en flèche d’un sectarisme mêlé de particularisme régional. Le mouvement de protestation se poursuit dans la rue, sans qu’aucune perspective de solution ne pointe à l’horizon. Tout le monde se contente de critiquer le gouvernement et les responsables, sans proposer de sortie de crise, en s’obstinant à rejeter tous les emplacements choisis pour la mise sur pied de nouvelles décharges.

Selon des sources du Grand Sérail, Tammam Salam, qui suit personnellement le dossier avec la commission ministérielle chargée du dossier, refuse de convoquer une séance du Conseil des ministres, arguant de la nécessité de la part de toutes les composantes politiques d’approuver au préalable le plan Chehayeb. Le dossier pourrait donc se retrouver une fois de plus aujourd’hui à la table de dialogue, en tête des priorités, pour qu’un accord soit une fois pour toutes obtenu sur les décharges et que le Premier ministre puisse convoquer aussitôt le Conseil des ministres.

Si tous les participants à la table de dialogue soutiennent le plan Chehayeb et les efforts de M. Salam, la même unanimité n’existe pas sur la question des caractéristiques présidentielles. Car il faut en effet, pour le Hezbollah, que la principale caractéristique du prochain président soit l’adhésion au projet de la « résistance ». Partant, la séance d’aujourd’hui pourrait s’avérer une fois de plus électrique, compte tenu des divergences radicales à ce niveau entre 14 et 8 Mars. Du côté du Hezbollah, l’on continue en effet à rejeter l’idée de la politique de distanciation, en arguant du fait que le Liban a encore des territoires à libérer de l’occupation israélienne et qu’il se trouve aujourd’hui dans la ligne de mire des jihadistes. Le parti chiite craint que le 14 Mars ne s’attache à la politique de dissociation pour mater la résistance et brider ses ardeurs, en retournant, pour ce faire, au leitmotiv du « monopole de la violence légitime » et de la « stratégie de défense ». Le Hezbollah évoque ainsi les tentatives du 14 Mars, durant les deux dernières années du mandat Sleiman, de circonscrire l’action du parti dans un cadre légal, par le biais de la table de dialogue et du projet de stratégie de défense proposé par Michel Sleiman lui-même.

Selon une source du 14 Mars qui prendra part au dialogue aujourd’hui, il ne faut pas s’attendre à ce que le dossier de « la résistance » passe comme une lettre à la poste. Les temps de l’équation armée-peuple-résistance sont révolus, en dépit des tentatives du 8 Mars de revitaliser ce slogan à travers le débat sur les caractéristiques présidentielles. La nouvelle équation est désormais claire, selon le 14 Mars. Il s’agit de « la politique de distanciation vs la résistance ». En d’autres termes, au veto du Hezbollah à la première s’opposera celui du 14 Mars à la seconde. D’autant, soulignent des sources du 14 Mars, qu’il est désormais illusoire de parler de résistance depuis que le Hezbollah s’est embourbé dans les combats en Syrie (ainsi qu’en Irak, au Yémen, en Égypte, au Bahreïn et ailleurs…) et que l’allégeance du parti à l’agenda iranien régional est désormais revendiqué et assumé sans complexes par ses responsables.

Sans compter, ajoutent ces sources, que l’armée libanaise est en train de prouver au fil des jours qu’elle est capable de protéger les frontières et de remplir ses fonctions, sans l’aide du Hezbollah, qui se transforme au contraire en boulet sur le plan de la sécurité pour le Liban en raison de son implication dans l’ensemble des guerres de la région. Pourquoi donc envisager encore une résistance en dehors du cadre de l’institution militaire, qui est le lieu même de la défense du territoire libanais… et du territoire libanais seulement, sans autres allégeances résiduelles ? De plus, la présence desdites « brigades de la résistance » a fait chuter la « résistance » de son piédestal immaculé de libératrice nationale au rang de milice sectaire des rues, du 7 Mai à Beyrouth aux événements de Saïda et de Tripoli, soulignent les sources du 14 Mars.

Du côté du 14 Mars, l’on s’attend à ce que la joute verbale soit particulièrement féroce, aujourd’hui, le Hezbollah voulant arracher une nouvelle reconnaissance de sa présence et de sa nécessité en tant que « résistance », pour préserver ses privilèges et continuer d’assurer une couverture légale à ses combattants de retour du front syrien à l’heure du début des solutions et des compromis. Il est en effet inconcevable pour le parti chiite que l’on puisse circonscrire sa marge de manœuvre ou le laisser se désintégrer au sein de la troupe.

Le Liban serait tenu à l’écart des compromis régionaux, estiment certaines sources bien informées, résultat d’une volonté internationale d’instaurer un statut de neutralité à la scène libanaise, loin des conflits régionaux et internationaux, et d’y préserver la stabilité. La priorité irait, avec le début du dialogue pour une solution en Syrie, à l’élection d’un nouveau président et à l’immunisation de la scène intérieure, afin que la carte présidentielle cesse d’être exploitée comme moyen de pression de la part de parties régionales. Selon un diplomate, les Libanais ont donc quelques mois pour profiter de l’occasion et élire un président.

En cas d’échec, le pays risque d’entrer dans l’inconnu et son sort d’être lié à celui de la région, avec toutes les répercussions éventuelles que cela suppose. Il existerait ainsi une volonté internationale de réaliser l’échéance présidentielle après la réunion de Vienne sur la Syrie. Les regards sont ainsi tournés maintenant sur la visite du président iranien Hassan Rohani au Vatican pour rencontrer le pape François, avant son départ pour Paris et son entretien avec François Hollande. Le dossier libanais serait en tête de liste de ces entretiens, notamment au Vatican, qui tient à combler la vacance présidentielle au Liban, seul pays dont « la tête » est chrétienne au Moyen-Orient. Et le nom du prochain président – dont le profil serait indépendant, modéré et agréé de tous – serait imposé par l’extérieur, après l’échec des composantes libanaises à s’entendre sur un nom.

En attendant les résultats des efforts internationaux déployés par le Vatican avec l’aide russe, française, iranienne, saoudienne et égyptienne, pour l’élection d’un nouveau chef d’État au plus vite, la table de dialogue reste donc l’espace de rencontre interlibanais, pour parer aux dangers qui pèsent désormais sur la stabilité politique, économique et sécuritaire du pays.