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Un compromis in extremis épargne au pays de nouvelles fractures politiques

La situation

Fady NOUN

C’est une impression générale de soulagement qui a prédominé à l’annonce par le général Michel Aoun et Samir Geagea qu’un accord avait été conclu et qu’ils se rendront aux séances législatives prévues aujourd’hui et demain, et dont la première s’ouvrira au Parlement à 11 heures.
L’impression est que c’est un compromis acceptable pour – presque – tous qui a été conclu ; un accord qui a épargné au pays une grave secousse politique dont les conséquences auraient pu provoquer de nouvelles fractures sociales et politiques. De source informée, on apprend en effet que ces partis étaient prêts à aller jusqu’à la désobéissance civile pour protester contre la décision de M. Berry de les ignorer.

Seule ombre au tableau, le parti Kataëb et des constitutionnalistes ont évalué très négativement la séance électorale d’aujourd’hui, estimant que l’on outrepasse les dispositions des articles 74 et 75 de la Constitution. Ces articles prévoient qu’en l’absence d’un chef de l’État, le Parlement ne peut avoir d’autre fonction que celle d’un collège électoral. Histoire d’enfoncer le clou, les Kataëb maintiennent pour ce matin leur ordre de manifestation devant le siège central du parti, à Saïfi.
À ce raisonnement, on peut opposer l’argument que l’on se trouve en présence d’une situation qui engage les intérêts supérieurs de l’État et des Libanais, et que le législateur qui a rédigé la Constitution ne pouvait prévoir, dans le pire de ses cauchemars, que la fonction présidentielle serait vacante pendant 18 mois, sans qu’une fin ne lui soit encore prévue.

Le compromis, élaboré au cours d’une nuit fiévreuse de contacts qui s’est prolongée jusqu’à 4 heures du matin et a englobé toutes les parties sans exception, y compris Saad Hariri, Tammam Salam, Gebran Bassil et Samir Mokbel à Riyad, prévoit que la loi électorale, dont la présence à l’ordre du jour était exigée par les partis chrétiens, soit renvoyée à la première séance législative qui se tiendra après celles de ces deux jours. L’assurance que ces partis ont obtenue à ce sujet de la part du courant du Futur a valu à Saad Hariri un hommage dithyrambique de Samir Geagea.

Le Liban doit-il donc cette détente à l’Arabie saoudite ? C’est ce que certains milieux suggèrent. Pour faire équilibre, le Premier ministre Tammam Salam a rendu hier un vibrant hommage à Nabih Berry, au cours d’un dîner donné en son honneur à Riyad par l’ambassadeur Abdel Sattar Issa. « M. Berry assume le poids de la responsabilité du pays autant sinon plus que moi, il mérite nos hommages », a lancé M. Salam, qui s’attend à ce que la détente politique soit contagieuse.

Renforcer l’identité nationale
Quoi qu’il en soit, en échange du renoncement provisoire à la loi électorale, les partis chrétiens ont obtenu que le projet de loi sur la récupération de la nationalité soit voté dans la version à laquelle ils tiennent, avec deux corrections mineures. Il exclut de ses dispositions les citoyens ayant obtenu la nationalité de pays ayant fait partie de l’Empire ottoman, et serait caduc au bout de 10 ans. Pas de quoi rabattre la joie des auteurs de ce projet de loi dont les dispositions permettront à de nombreux descendants d’émigrés chrétiens (mais pas seulement) de retrouver une nationalité qu’ils croyaient définitivement perdue, ce qui ne manquera pas de renforcer l’identité nationale et le caractère pluricommunautaire d’un Liban saigné, depuis un siècle, par des vagues d’émigrations successives qui ont réduit considérablement le pourcentage des chrétiens résidents par rapport à la population totale.

Outre ce projet de loi, revêtu du caractère de double urgence, le Parlement votera une loi débloquant les fonds en provenance des redevances du téléphone mobile, ratifiera des conventions contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, ainsi que des prêts de la Banque mondiale et de divers fonds arabes. Au total, ce sont 43 projets de loi qui vont passer, ce qui a fait froncer (à bon droit) les sourcils à Samy Gemayel.
Ce que, politiquement, les partis chrétiens ont obtenu comme dividendes de l’accord conclu, c’est en fait un nouveau verrouillage partiel du Parlement, puisque la première session parlementaire qui suivra devra nécessairement être consacrée à l’examen de la loi électorale, d’autant qu’on est à un an et quelques mois de l’expiration du mandat – prorogé – de la législature actuelle. On apprend en fait qu’une commission sera formée dès aujourd’hui dont la vocation sera de faire (si possible) la synthèse des 17 projets de loi électorale existants, ou au moins d’en réduire le nombre à deux ou trois, et d’aboutir si possible à un compromis honorable pour tous.

Même Hassan Nasrallah…
On ne peut manquer de relever que la loi électorale prend ainsi ipso facto la place de l’échelle des traitements et salaires, que M. Berry avait promis de faire figurer en tête de la prochaine session parlementaire, à un comité de coordination syndicale une fois de plus floué.
Un lot de consolation est également prévu aux défenseurs du principe du droit à l’acquisition de la nationalité libanaise pour les enfants de femmes libanaises ayant épousé des étrangers. Le courant du Futur va prendre sur lui de plancher sur ce projet, ayant renoncé à faire l’amalgame entre la récupération de la nationalité et les conditions de son acquisition dans un même texte de loi.

Bref, on est dans une situation où tout le monde peut prétendre avoir contribué – voire rendu possible – à un compromis qui va détendre l’atmosphère politique. Même Hassan Nasrallah, qui a participé aux tractations des dernières 48 heures, y est allé de son refrain hier, estimant que trop c’est trop, qu’un navire ne peut continuer à naviguer sans gouvernail, et qu’il est temps pour les forces politiques de mettre au point un accord global qui épargnerait au Liban ce ballottement sans fin, ainsi que les crises sociales de plus en plus aiguës qui pointent à l’horizon.