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Oublié et paralysé, le Liban tente d’abattre ses montagnes d’ordures

 

Sandra NOUJEIM 

Certaines analyses de la situation régionale dans la presse panarabe pourraient appuyer des lectures relativement optimistes pour le Liban. L’entente russo-américaine sur la trêve en Syrie, la révision consécutive des rapports turco-iraniens et les déclarations respectives de responsables saoudien et iranien favorables à un rééquilibrage de leurs « rapports de voisinage » seraient des indices positifs, mais insuffisants, d’un apaisement régional. En effet, l’Arabie saoudite conditionne son rapprochement avec l’Iran à une cessation de sa politique d’hostilité dans la région. Seul un acte de bonne volonté, émanant de Téhéran, pourrait augurer d’une phase d’apaisement. Et c’est le Yémen, plus que le Liban, qui devrait en être le terrain privilégié, pour plus d’une raison (le cadre d’une solution politique est fixé et l’enjeu, pour l’Arabie, de protéger ses frontières, plus urgent). Selon une source indépendante du 14 Mars, « c’est au Yémen uniquement que l’assouplissement des rapports arabo-iraniens aurait des chances de s’ébaucher ».

En effet, l’enracinement du Hezbollah au Liban est tel que la situation libanaise renferme toute la complexité des rapports actuels entre l’Arabie et l’Iran. L’offensive saoudienne au Yémen a marqué un revirement de la stratégie du royaume wahhabite : la politique traditionnelle saoudienne de conciliation et de contournement des conflits a conduit à un conflit régional avec l’Iran que les Saoudiens auraient pu (et dû) éviter. Depuis leur intervention militaire au Yémen, les Saoudiens continuent de chercher et d’affiner les moyens de leur offensive régionale.

Leur cible s’est ainsi progressivement précisée : l’on comprend désormais que c’est l’aile radicale de Téhéran qui est combattue par l’Arabie, les modérés au pouvoir étant appelés à plus d’initiatives, c’est-à-dire à prouver qu’ils ne sont pas qu’une pure façade du régime. Au Liban, ce sont les modérés de toutes les communautés qui sont appelés à « isoler le Hezbollah », le parti chiite étant, aux yeux de l’Arabie, un produit pur des gardiens de la révolution iranienne. Une nouvelle déclaration condamnant le Hezbollah et le qualifiant d’organisation « terroriste » a ainsi été votée hier au Caire par les ministres des Affaires étrangères des États membres de la Ligue arabe. L’Irak et le Liban, représenté par Gebran Bassil, ont exprimé des réserves. Le chef de la diplomatie libanaise a invoqué un nouvel argument : la différence entre « terrorisme » et « résistance », clairement établie à ses yeux par le traité arabe pour la lutte antiterroriste.

De la mise au pas du Hezbollah…
On peut concéder que le Hezbollah puisse difficilement être extirpé du tissu libanais, étant légitimé par une de ses composantes, et l’on peut plaider pour une stratégie non violente et plurielle capable de contrecarrer sa mainmise sur les institutions, en attendant de trouver une solution politique à ses armes.
Le problème est que non seulement cette stratégie s’est diluée au fil de deux années de boycottage de la présidentielle, justifié par un abus de la Constitution, mais la perte des repères, aggravée par l’allié chrétien du Hezbollah, va en s’accélérant.

La position de M. Bassil au Caire, hier, en est significative : en revenant sur la distinction établie entre « terrorisme » et « résistance », il a invoqué indirectement la logique de Taëf, qui avait légitimé la résistance contre Israël. Ce faisant, il a occulté l’un des objectifs de l’offensive saoudienne au Liban, qui est de délégitimer une résistance qui n’en est plus une, depuis qu’elle est dirigée contre les peuples arabes. Il a ainsi, surtout, consacré un état des lieux que plusieurs sources du 14 Mars pointent désormais et que le député Marwan Hamadé résume ainsi à L’OLJ : « Le Liban est pris dans la toile d’araignée iranienne et le pays tout entier va continuer à payer la facture des fantasmes de Hassan Nasrallah. Il est déplorable que le ministre libanais des Affaires étrangères s’érige, au nez et à la barbe de vingt pays arabes, en défenseur de ceux qui ruinent le Liban. »

Ce constat est aggravé par l’ambiguïté des positions prises par le camp politique hostile au Hezbollah. Des sources du Futur craignent qu’il n’y ait pas de résistance libanaise suffisamment efficace pour empêcher les décideurs régionaux de livrer le Liban à une influence iranienne. Ce scénario serait plausible, dans le cadre de compensations que la Russie et les États-Unis pourraient concéder à l’Iran, lors des négociations sur la Syrie et le Yémen. Un ministre du 14 Mars rappelle ainsi que « le Liban reste le bercail de l’influence iranienne dans la région. Lorsque viendra l’heure de circonscrire le Hezbollah, son point de retrait sera sa source, c’est-à-dire le Liban ». Surtout que, jusque-là, et en dépit du « forcing saoudien », les parties libanaises laissent au Hezbollah les coudées franches. « Ce n’est pas au Liban que se fera la mise au pas du Hezbollah », conclut une source du 14 Mars, qui dément toute avancée sur le dossier de la présidentielle, et encore moins sur la loi électorale.

 

Deux dépotoirs retenus
C’est en revanche un espoir timide de résolution du dossier des déchets qui a fait surface hier, à l’issue de la réunion de la commission ministérielle chargée de le régler, sous la présidence du Premier ministre Tammam Salam. « La crise a été réglée à 99 % », a déclaré le ministre Nouhad Machnouk. Même optimisme chez son collègue du Hezbollah, Hussein Hajj Hassan, qui a affirmé que « la crise des déchets est en voie de dénouement, le député Talal Arslane ayant accepté d’aménager une décharge sur le site de Costa Brava ».
Le plan qui a ainsi été convenu hier doit encore être approuvé aujourd’hui en Conseil des ministres.

Une source de la commission a expliqué à L’OLJ les contours de la solution : « Alors qu’il avait été question initialement de trois dépotoirs, seuls deux ont été retenus. Nous avons en effet respecté la décision des municipalités du Chouf et de l’Iqlim el-Kharroub de gérer elles-mêmes les déchets de la région. Seuls les déchets du Kesrouan, de Jbeil, de Beyrouth, de la banlieue sud et d’une partie d’Aley seront donc recueillis par les deux décharges, dont les emplacements respectifs seront Bourj Hammoud-Jdeidé et Costa Brava. »

Idéalement, si cette solution est approuvée aujourd’hui, il faudra attendre deux semaines pour convenir des appels d’offres relatifs à la première phase de réhabilitation des dépotoirs : celle de démonter les montagnes d’ordures qui se sont amoncelées sur ce terrain, et de construire les décharges, devant recueillir chacune 1 200 tonnes de déchets par jour. Cette phase doit s’accompagner de la collecte des 500 000 tonnes de déchets amassés depuis huit mois sur le territoire. Il a été convenu de débarquer ces « anciennes ordures » dans le dernier compartiment de la décharge de Naamé, préalablement à sa « clôture » définitive, toujours selon la source. Il y aurait néanmoins plusieurs obstacles à franchir encore, en Conseil des ministres : l’approbation des sommes « importantes » à débloquer pour la mise en œuvre de la solution ; le risque de nouvelles polémiques sur les cahiers des charges ; la mobilisation des ressources pour une collecte relativement rapide des déchets (Sukleen pourrait en être chargée, même si « l’on risque de mobiliser tous les camions du pays à cette fin ! »)…

Le tout face à une société civile qui a, depuis une semaine, le vent en poupe. Le collectif « Vous puez! » a appelé à une nouvelle mobilisation aujourd’hui, qui doit débuter à la place Sassine à 16 heures et se poursuivre jusqu’à la place Riad el-Solh. « Nous attendons l’annonce – et une annonce transparente – de la solution à l’issue du Conseil des ministres pour nous prononcer », affirme Wadih el-Asmar, membre du collectif, à L’OLJ. « Nous avons réussi au cours des derniers jours à mettre le gouvernement devant ses responsabilités. Les réunions successives de la commission sont un bon signe », a-t-il déclaré. S’il s’en est remis aux habitants des quartiers avoisinants les décharges éventuelles pour « décider de la position à prendre », il a réitéré la revendication du collectif de « verser les fonds dus aux municipalités et de leur confier le dossier ». Cela n’est-il pas un plan à long terme, dont le pays n’aurait plus le luxe ? « Que le cabinet fasse au moins preuve de bonne volonté et décide demain (aujourd’hui) de débloquer ces fonds… » a-t-il répondu, laissant ouverte l’option d’une escalade.