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Qui cherche donc à effrayer les Libanais ?

 

Fady NOUN |  

Qui cherche donc à effrayer les Libanais ? On était en droit de se le demander hier, étant donné la circulation de messages électroniques présentés comme des avertissements d’ambassades contre le déplacement dans certaines zones de loisirs. L’occasion rêvée pour les parents de conseiller à leurs adolescents de rester chez eux, « pour cette fois au moins ». Mais ce climat de prudence et d’inquiétude a rapidement été dissipé, officiellement du moins, par une déclaration du ministre de l’Intérieur affirmant qu’il s’agissait d’une réaction tardive à des informations qui datent de quelques semaines, et qui sont restées sans suite. Les ambassades elles-mêmes y opposaient des démentis.

 

Il serait imprudent, toutefois, de se laisser rassurer trop vite. Ce serait oublier l’attentat de dimanche dernier contre la Blom Bank, et le silence énigmatique et inexplicable observé par le Hezbollah à la suite de cette explosion. Dans le sillage de cet attentat que l’on souhaite isolé, des sources proches du 8 Mars cherchent à propager des nouvelles qui portent à l’inquiétude. Nouvelles de préparatifs militaires israéliens, contre-projets de guerre confessionnelle intestine, les deux scénarios sont évoqués. Couplées à la vague de rumeurs qui se propageait hier, ces hypothèses pourraient nourrir l’inquiétude des Libanais au seuil d’une nouvelle saison estivale, qu’un ennemi aussi sournois que masqué chercherait à ruiner.

 

Faut-il croire à un aussi sombre scénario ? Les ficelles, cette fois, semblent trop grosses pour lui accorder crédit. Certes, comme chaque fois qu’un attentat se produit, de fausses alertes au colis piégé se multiplient dans les jours qui suivent. Un sac en papier suspect a ainsi été repéré à Raouché près de la Banque du Liban et d’outremer, qui s’est avéré n’être… qu’un sac de débarras.

Par contre, les arguments en faveur du maintien de la stabilité du pays gardent leur force. Dans un entretien accordé à l’agence al-Markaziya, Melhem Riachi, le responsable à la communication des Forces libanaises, a estimé que malgré l’attentat de la rue de Verdun, « le Liban restera un îlot de stabilité en raison, d’abord, de la volonté des Libanais de protéger leur paix interne et, d’autre part, de la présence au Liban de deux millions de réfugiés syriens ». Pour lui, « il n’existe pas un pays au monde qui voudrait les accueillir s’ils sont obligés de fuir ». Cette plaie de la guerre se serait donc transformée en un rempart social contre la guerre.

 

Même l’instabilité politique créée par la démission des ministres Kataëb a été jugée « compréhensible, et néanmoins non productive » par M. Riachi, qui a estimé que « dans les circonstances actuelles, le vote de tous est nécessaire en Conseil des ministres ».

L’analyse de M. Riachi rejoint certains chiffres dont a fait état hier le secrétaire général de la fédération des syndicats du tourisme, Jean Beyrouthi, qui a assuré que l’attentat contre la Blom Bank « n’a pas affecté le niveau des réservations pour la fête de Fitr », qui suit le mois de jeûne de ramadan.
M. Beyrouthi, qui a fait état d’une baisse de 60 % du taux de fréquentation des établissements balnéaires à Jounieh pendant le mois de ramadan, s’attend à le voir remonter en flèche, par la suite, et se félicite d’avance du succès de la saison d’été, qui sera animée par pas moins de 140 festivals.

Dans le prolongement de ces chiffres, on critique dans certains milieux diplomatiques la tournée du ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, dans les pays nordiques d’Europe, et l’on juge qu’il serait bien plus utile de le voir se diriger vers les pays du Golfe, invitant ces États à choisir à nouveau le Liban comme destination de vacances.

 

Le Conseil des ministres
C’est dans ce climat de perplexité sécuritaire et politique que s’est tenu hier le Conseil des ministres. Comme d’habitude depuis un certain nombre de mois, il n’a pas déçu les attentes, et a été aussi affligeant qu’on s’y attendait.

C’est en effet par les dossiers qu’elle n’a pas abordés que s’est fait remarquer la réunion. Ainsi, l’examen du dossier de la vallée de Janné, de ce petit paradis sur terre, de ce bijou forestier, de cette vallée historique unique au monde abritant la légende d’Adonis, aujourd’hui livrée aux scies et aux tronçonneuses, a été reporté une fois de plus. Sans doute à une date où l’irréversible aura été commis, où il ne faudra pas moins que l’eau du barrage pour effacer la vue des troncs sciés et du saccage écologique de ce que beaucoup considèrent comme une merveille à ciel ouvert, comparable à la grotte de Jeïta.

Quant à la démission des ministres du parti Kataëb, elle a été assimilée, cette fois, à « une absence », en attendant une lettre de démission en bonne et due forme. Aussi bien Sejaan Azzi (Travail) qu’Alain Hakim (Économie) ont dû se plier, de mauvaise grâce, à la décision du bureau politique des Kataëb, apprend-on.

En dépit de ces absences, un procès d’intention a été fait au parti Kataëb, Élias Bou Saab, du bloc aouniste, rappelant que les ministres du parti ont tous deux « objecté sans s’opposer » au plan de gestion des déchets solides proposé par le gouvernement, dont ils invoquent aujourd’hui l’opacité, pour justifier leur volte-face.

Par ailleurs, on continue d’attendre ce que donnera l’enquête ouverte sur l’exploitation privée des réseaux Internet importés de Chypre, et exploités au détriment du ministère des Télécoms.