La semaine politique s’ouvre sur une grande inconnue : que va devenir le gouvernement ? Que vont devenir les démissions des ministres Kataëb, Sejaan Azzi (Travail) et Alain Hakim (Économie) ? Annoncées au milieu de la semaine dernière par le président du parti, Samy Gemayel, ces deux démissions sont marquées par des attendus constitutionnels et politiques qui se sont avérés, au fil des jours, nettement insuffisants. Une réunion, aujourd’hui, du bureau politique Kataëb doit normalement trancher la question, mais M. Azzi doute que cela soit possible.
Au lendemain de son annonce, faite à l’heure de grande écoute du journal télévisé, que les deux ministres étaient démissionnaires, M. Gemayel a lui-même paru faire marche arrière. En effet, il avait jugé ce jour-là, après s’être entretenu avec le chef du gouvernement, qu’il n’y a pas lieu de présenter par écrit la double démission, cette démarche lui paraissant anticonstitutionnelle, puisque le ministre démissionnaire n’a pas de répondant à l’autre bout du fil institutionnel, en l’absence d’un président de la République. De fait, constataient les observateurs, cette démarche était condamnée à rester inachevée. On déplorait également, dans ces milieux, que M. Gemayel ait semblé faire cavalier seul.
Azzi, fer de lance du « non »
Fer de lance d’un sursaut contre la décision de M. Gemayel, M. Azzi a passé le week-end à s’en expliquer. « Ma position n’est pas personnellement dirigée contre le parti, encore moins contre son président, a-t-il confié hier soir à L’Orient-Le Jour. C’est un problème de choix national : nous devons rester au gouvernement en tant que dépositaire de ce qui reste de légalité de l’État libanais. J’ai donc refusé que la démission soit catégorique. Je ne veux pas entrer en conflit avec le parti, mais je ne peux souscrire à une décision à l’élaboration de laquelle je n’ai pas participé. »
Pour M. Azzi, la décision va en outre « à contresens d’une tradition qui veut que les Kataëb se rangent aux côtés du président de la République et appuient la légalité », aujourd’hui représentée par le Conseil des ministres.
Et M. Azzi d’ajouter qu’au sein du gouvernement, les ministres Kataëb « ne représentent pas seulement leur parti, mais les chrétiens, et que dans les circonstances locales et régionales actuelles, il n’est pas possible de prendre à la légère pareil enjeu ».
Effectivement, beaucoup estiment que la double démission ne sert pas la volonté affichée de M. Gemayel de vouloir « crever l’abcès » du gouvernement et de hâter l’élection d’un président de la République, mais apporte au contraire de l’eau au moulin de ceux qui cherchent à conduire le pays à une faillite politique telle qu’une révision des équilibres communautaires deviendrait indispensable.
- Azzi assure enfin que la décision de la double démission va à l’encontre des avis d’une pléiade de personnalités du monde diplomatique, politique et religieux. Même des adversaires politiques ont désapprouvé cette initiative, a-t-il insisté.
Selon M. Azzi, le bureau politique de son parti ne tranchera pas en faveur d’une politique plutôt que d’une autre, mais étudiera tous les avis reçus et qui, pratiquement à l’unanimité, considèrent que l’acte de démission est, en l’occurrence, « un acte nul et non avenu ».
Tammam Salam : « Toujours en fonction »
Le sursaut légaliste, ou si l’on veut légitimiste de M. Azzi, est corroboré par l’attitude du président du Conseil, Tammam Salam, qui a affirmé hier aux nombreux journalistes qui l’interrogeaient qu’en l’absence d’une lettre de démission en bonne et due forme qui lui serait remise ou qui serait déposée au secrétariat du Conseil des ministres, il considérait que les deux ministres sont « toujours en fonction ».
« Si l’intention de démission est sérieuse, rien n’empêche le ministre de la présenter par écrit, d’autant que le secrétariat du Conseil des ministres est une institution en soi. Aucune considération constitutionnelle n’interfère sur ce plan avec la volonté de démission du ministre, à condition qu’il la manifeste par écrit. »
Mais M. Salam a déploré « le surcroît de confusion » introduite dans la vie constitutionnelle, en l’absence d’un chef de l’État, par l’existence de ministres démissionnaires qui, sans assister aux réunions du gouvernement, veulent expédier les affaires courantes de leurs ministères.
Confronté à la demande de démission que lui a lancé M. Gemayel, en raison des « marchés et commissions » qui marquent la vie des ministères, M. Salam a affirmé : « À chacun son avis. Beaucoup m’adressent des conseils opposés. Et moi qui voit tout le monde, j’ai le sentiment qu’une écrasante majorité de personnes souhaite que je continue d’assumer mes responsabilités. C’est pour moi un grand fardeau, je l’ai dit et redit, mais nous avons le devoir de considérer le problème sous tous ses aspects. Je n’ai pas le droit d’agir impulsivement ou égoïstement. Mais je le dis, la poursuite de cette situation n’est pas dans l’intérêt du Liban. »
Par ailleurs, le président du Conseil a annoncé que le gouvernement se réunira cette semaine, mercredi en séance ordinaire et vendredi pour examiner tous les projets mis en chantier par le CDR, mais curieusement en l’absence du projet du barrage de Janné. Par contre, les expropriations en rapport avec l’élargissement de l’autoroute de Jounieh seront examinées ce jour-là, a-t-il précisé.
Chaque réunion du Conseil des ministres est un défi à relever, a lancé M. Salam, qui a déploré que « simultanément, des ministres souhaitent accélérer des projets que d’autres souhaitent ralentir », dénonçant « la perte de temps et l’improductivité » que cela entraîne.
Par contre M. Salam a refusé de se prononcer au sujet de ce qui doit se passer quand le mandat du commandant de l’armée ou du chef d’état-major et du secrétaire général du conseil de défense arriveront à expiration, ainsi d’ailleurs que sur le dossier de la Sécurité de l’État. « Nous y pourvoirons en temps opportun », a-t-il lancé.
Enfin, le chef du gouvernement a affirmé que la crise opposant les banques au Hezbollah est « sous contrôle et en cours d’apaisement ».
Notons qu’au calendrier des échéances de cette semaine figurent, demain 21 juin, une réunion de la conférence nationale du dialogue, au cours de laquelle la forme de la nouvelle loi électorale doit être examinée et, mercredi 23 juin, une session parlementaire consacrée à l’élection d’un président de la République.