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Salam, à Nouakchott, rejette les ingérences dans les affaires des pays du Golfe

 

Sandra NOUJEIM |

Le 27e sommet arabe qui s’est tenu hier à Nouakchott, la capitale mauritanienne, était comme voué à l’avance à rester de pure forme. Le Maghreb s’était abstenu de l’accueillir, alléguant de l’absence de circonstances objectives propices à des prises de décision qui répondent aux aspirations des peuples arabes. Le choix alternatif de la Mauritanie, pays qui ne compte pas parmi les décideurs et qui, en outre, a fait montre récemment d’une ouverture envers le régime syrien, a confirmé l’inaptitude des États arabes à dépasser leurs divergences sur les événements régionaux. Le sommet annuel a ainsi été marqué par une participation réduite, due notamment à l’absence du roi Salmane d’Arabie pour « des raisons de santé » et celle du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, président sortant de la Ligue arabe, pour cause d’« agenda intérieur chargé », selon une source de la Ligue arabe citée par l’AFP.
Ces tiraillements interarabes, de nature stratégique (entre l’Arabie et l’Égypte) ou tactique (entre l’Arabie et le Qatar, par exemple), rendent difficile la formation d’une volonté arabe unifiée, qui fasse contrepoids aux influences étrangères dans la région, qu’elles soient iraniennes, russes ou occidentales, précisément américaines.
Dans ce contexte de marasme régional, le Liban tente avec les moyens de bord de se positionner en acteur neutre dans la région, faisant preuve de solidarité avec son voisinage en prenant à sa charge d’accueillir les déplacés syriens en nombre massif.
Le discours de Tammam Salam a ainsi tenté d’abord de rétablir le lien entre la neutralité du Liban, d’une part, et sa souscription à la solidarité arabe, de l’autre. Un lien qui, rappelons-le, avait été rompu par les prises de position antérieures du ministre des Affaires étrangères, et par le Hezbollah, déclenchant le processus d’isolation du Liban par les pays du Golfe. « Nous ne sommes pas neutres à l’égard de tout ce qui touche à la sécurité nationale de nos frères, surtout, surtout, les États membres du Conseil de coopération du Golfe. Nous refusons toute ingérence dans les affaires des pays arabes, et toute tentative d’y imposer des réalités politiques, sous quelque bannière que ce soit », a déclaré hier le Premier ministre. Cette phrase-clé de son allocution tente de remédier à l’abstention inédite des États du Golfe, à l’exception du Koweït, d’adhérer à la traditionnelle « clause de solidarité avec le Liban » dans la déclaration de Nouakchott. Cette clause appuie le Liban dans sa lutte contre Israël et contre le terrorisme, et le soutient dans sa gestion de la crise des déplacés sur son territoire. Selon des informations d’al-Hayat, cette « distanciation » arabe à l’égard de la clause de solidarité avec le Liban répondrait à deux manquements diplomatiques antérieurs du Liban. Il y a eu d’abord l’abstention du chef de la diplomatie libanaise de dénoncer l’ingérence de l’Iran dans les affaires arabes, lors du sommet des ministres arabes des Affaires étrangères au Caire en décembre 2015.

Mêmes « distanciations » libano-saoudiennes
Rectifiant cette position en mars dernier, lors du sommet islamique à Istanbul, Tammam Salam avait appuyé la clause dénonçant les ingérences iraniennes, en se démarquant toutefois de la qualification de terrorisme accolée au Hezbollah. Le second manquement, plus récent, serait les réserves opposées par le délégué du Liban à la Ligue arabe, lors de la rédaction du brouillon de la déclaration de Nouakchott, à la clause mentionnant le Hezbollah parmi les « groupes et organisations terroristes et vandales » appuyés par l’Iran.
Si M. Salam a insisté hier sur l’appui inconditionnel du Liban à la solidarité arabe, et spécifiquement celle des pays du Golfe, il n’a fait que rééditer ses discours antérieurs qui dénoncent les atteintes iraniennes à l’égard des puissances du Golfe, en occultant une nouvelle fois la question du Hezbollah. Il continue de présenter ce parti dans sa stricte dimension locale et non militaire, comme « une composante politique du Liban ».
C’est cette position qu’il aurait observée lors du débat hier autour de la qualification du parti chiite de terroriste.
La réaffirmation de la solidarité avec les pays arabes reste donc de l’ordre du verbe, du moins aux yeux des pays du Golfe, comme le rapportent à L’OLJ des observateurs saoudiens. La position saoudienne reste inchangée : son terrain de lutte est la Syrie, où elle n’entend faire aucune concession. Subsidiairement, tant que le Liban « continue de couvrir des actions nuisibles en Syrie », il ne parviendra pas à rétablir ses rapports avec le Golfe. Le refus de dernière minute, sous différents prétextes, des ministres Ali Hassan Khalil, Waël Bou Faour et Gebran Bassil d’accompagner le Premier ministre en Mauritanie, trahit si ce n’est une solidarité, du moins un embarras des parties libanaises par rapport au Hezbollah.

Lacunes et zones d’ombre dans le discours de Salam
Cela rejoint la perplexité libanaise sur le dossier des déplacés syriens, volet important du discours de Tammam Salam hier. Se tournant « vers nos frères arabes, qui sont les plus à même d’écouter nos complaintes », le Premier ministre a relancé sa demande d’aide à la gestion du flux de déplacés, les aides des pays du Golfe étant ralenties mais sans être suspendues depuis la crise entre le Liban et l’Arabie, apprend-on de source informée. Le Premier ministre a donc proposé, au nom du Liban, de « créer un comité arabe qui œuvrerait à créer des zones de résidence pour les déplacés à l’intérieur du territoire syrien et qui tenterait d’en convaincre la communauté internationale », cette option étant « moins coûteuse aussi bien pour les pays avoisinants que pour les États donateurs, et surtout plus efficace pour mettre un terme au crime de dislocation du peuple syrien ». M. Salam a également appelé, « en attendant, à la création d’un fonds arabe qui renforcerait la résilience des pays d’accueil, et améliorerait les conditions de séjour temporaire des déplacés ». L’accent a été mis sur le caractère temporaire de la présence syrienne au Liban, « qui n’est pas un pays de refuge permanent ».
Cette double proposition de Tammam Salam, soutenue par le ministre des Affaires sociales, Rachid Derbas, seul officiel l’accompagnant, reste laconique. En dépit de la pertinence de son idée de créer une zone sûre en Syrie, il ne précise pas le mécanisme par lequel il entend la mettre en œuvre, si celle-ci doit impliquer une coopération directe avec le régime syrien (que préconise le Hezbollah), ou si elle doit s’articuler sur une médiation de l’Onu ou d’une autre partie tierce. La preuve supplémentaire du caractère aléatoire du plan proposé est que ce dernier n’a pas été examiné au préalable en Conseil des ministres.
Les sollicitations d’aide aux pays arabes, faisant suite à « l’insuffisance des aides internationales » selon les termes du Premier ministre, ont cela de dangereux qu’elles font fi du fonds établi par le Groupe d’aide au Liban et risquent surtout de « régionaliser » le dossier des déplacés sur le territoire libanais, c’est-à-dire de le retirer du centre d’intérêt international. Auquel cas la création de zones sûres aurait peu de chance d’aboutir.