Une lecture réaliste de la situation au Liban conduit à minimiser d’entrée les démarches isolées de certaines parties, notamment chrétiennes, qui tendent à faire valoir une certaine indépendance à l’égard de leurs alliés : cela s’appliquerait autant à l’escalade aouniste menée isolément contre le gouvernement, et possiblement le dialogue ; mais aussi à certaines velléités chrétiennes de revenir sur des inimitiés passées, comme le député Serge TerSarkissian, qui s’est rendu hier à Rabieh « de son propre chef » après « une période de profonde rupture », selon ses propres termes. Des démarches qualifiées au pire de « gesticulations en passe d’être contenues », au mieux de « mouvances susceptibles d’affecter, mais seulement à long terme, l’état actuel des alliances politiques », de l’avis d’un député du 14 Mars. Parce que c’est à cela que reste circonscrite la situation : le déblocage au Liban est corollaire d’une solution en Syrie, et celle-ci n’est pas envisageable avant la présidentielle américaine, les puissances concernées par cette solution, à commencer par la Russie, « ne pouvant négocier d’éventuelles concessions à une administration qui touche à sa fin », comme le souligne à L’Orient-Le Jour un autre député, Jean Oghassabian, relevant en outre la « stérilité » des rencontres chroniques Kerry-Lavrov, en dépit des apparences.
L’une des conséquences en est l’intime conviction, notamment dans les milieux du courant du Futur, que les dynamiques susceptibles d’isoler la composante sunnite, préalablement à un éventuel retournement contre Taëf, seraient promptes à disparaître à l’heure des négociations régionales.
Et cela, en dépit de dynamiques qui prennent forme au travers de la situation de vacance et paraissent aptes à influencer l’éventuelle solution au Liban. L’équation « Aoun ou le vide » s’est ainsi mue tacitement en l’alternative suivante : le maintien de Taëf par l’élection de Aoun (qui rétablirait « le juste partenariat » ), ou la révision de la Constitution. Ainsi, le boycottage du Conseil des ministres par le bloc du Changement et de la Réforme et l’escalade que le chef du Courant patriotique libre (CPL), Gebran Bassil, dit vouloir mener jusqu’à une possible « crise de régime », auraient pu être lus comme le point de déclenchement d’une campagne contre Taëf, n’était la désolidarisation du Hezbollah de son allié chrétien. Laquelle ne serait pas un acte de pure forme. Sans présager d’une désunion – du reste difficilement envisageable – entre le CPL et le Hezbollah, cette désolidarisation aurait toutefois rassuré les parties soucieuses de préserver un minimum de bonne marche institutionnelle. Ainsi, même si le parti chiite avait exprimé au Premier ministre son « souhait » de reporter le Conseil des ministres de la semaine dernière de manière à ménager son allié, la tenue de la réunion, sur l’insistance de Tammam Salam, n’aurait pu se faire sans une garantie préalable du camp chiite, laquelle a été donnée officiellement par le président de la Chambre, Nabih Berry. Cette attitude du Hezbollah à l’égard du CPL prouve « l’insistance du parti à maintenir le statu quo actuel », estime un député du bloc du Futur. Qui plus est, il y aurait, de l’aveu d’un autre député du même bloc, un souci chez le président de la Chambre, Nabih Berry, de « soutenir Saad Hariri ». N’ayant de cesse de prôner devant ses visiteurs le rapprochement des parties libanaises en cette période critique, M. Berry serait sensible à l’argument du courant du Futur selon lequel troquer la présidence du Conseil à Saad Hariri contre la présidence de la République à Michel Aoun ferait croire à un renflouement du premier par le biais du second, ce qui « signerait inévitablement la fin du courant du Futur », explique ainsi le député Ahmad Fatfat à L’OLJ, qui confie avoir récemment transmis ce point de vue au ministre Élias Bou Saab, lequel se serait montré réceptif. Une solution de déblocage ne pourra donc faire fi du rôle de Saad Hariri comme « partenaire de la modération sunnite » et le tandem chiite en serait conscient.
Preuve en serait le « mécontentement » exprimé par le président de la Chambre à l’égard du ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, qu’il a reçu hier, à la suite de l’absence de ce dernier à la dernière réunion du gouvernement, boycottée par le bloc du Changement et de la Réforme. Des milieux du Futur critiques à l’égard de l’absence du ministre de l’Intérieur qui, lui, reste silencieux sur ses motivations, expliquent cette absence par « un acte de bonne volonté envers le bloc du Changement et de la Réforme ». Un acte qui lui aurait valu « un double reproche de la part du courant du Futur et du président de la Chambre ». Alors qu’il n’est pas sûr si le courant aouniste boycottera la séance de dialogue du 5 septembre prochain, le scénario du prochain Conseil des ministres est presque tranché : ce sera, comme le précédent, un Conseil de pure forme, le temps que s’achève l’escalade « que le bloc aouniste n’a nul intérêt à mener », s’entendent à dire les milieux interrogés.
C’est en revanche avec plus de légèreté que le courant du Futur a réagi (officieusement) à la visite du député Serge TerSarkissian à Rabieh. Certains se sont abstenus de tout commentaire, alors que d’autres se sont contentés d’une affirmation laconique, à la limite amusée : « Heureusement que le ridicule ne tue pas. » La visite du député, qui entendait produire « un choc » nécessaire, serait à situer non pas sur le terrain de la présidentielle (où le courant du Futur affirme avoir épuisé ses initiatives) mais plutôt sur le terrain des rapports interchrétiens : après l’entente de Meerab, certaines parties chrétiennes, dont des députés d’Achrafieh, ne seraient pas insensibles à l’option d’une ouverture au CPL, dans la perspective des prochaines législatives, selon les lectures faites hier par des parties du 14 Mars de la démarche du député. Il reste que M. TerSarkissian doit prendre part aujourd’hui à la réunion du bloc du Futur sous la présidence du député et ancien Premier ministre Fouad Siniora, où il constatera, dit-on, de sources bien informées, l’impopularité de sa démarche.
Les Forces libanaises (FL) s’activent de leur côté à entretenir leurs contacts avec le Hezbollah, des contacts déjà observés d’ailleurs à l’hémicycle entre les parlementaires des deux blocs. En fin de semaine, en outre, le député Chant Chinchinian a pris part – photo à l’appui – à un dîner avec le député Ali Fayad dans un restaurant de la banlieue sud. Perçu favorablement par les milieux du Futur comme « une prise de contact saine », ce rapprochement serait selon eux un moyen pour le leader des FL de « monnayer l’entente de Meerab, étant désormais convaincu que le Hezbollah ne soutiendra pas Michel Aoun à la présidentielle »…