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L’option Aoun tarde à frayer son chemin chez les haririens

 

Jeanine JALKH

C’est la douche écossaise. Après l’effervescence ressentie dans les milieux aounistes à l’annonce de la visite nocturne du chef du courant du Futur, Saad Hariri, à Bnechii, et durant les heures qui ont suivi, le retour à la réalité s’est imposé : le déblocage de la présidentielle n’est pas prévu de sitôt.
Amère pour les uns, un peu moins pour les autres, certainement désespérante pour une grande majorité de Libanais, cette certitude laisse toutefois en latence toutes les perspectives à venir, dont celui du chaos institutionnel total.
On le sait désormais : un éventuel soutien de M. Hariri à la candidature du chef du bloc du Changement et de la Réforme, Michel Aoun, est effectivement envisagé par l’ancien chef de gouvernement mais l’option est loin d’être tranchée. Et pour cause : cette nouvelle « porte de sortie » que tente d’emprunter M. Hariri est truffée d’embûches voire de contestations à plusieurs niveaux : d’abord au sein même de sa formation qui a connu hier des débats houleux lors de la première réunion des membres du bloc du Futur depuis le retour de M. Hariri samedi dernier à Beyrouth, « une claire majorité » ayant exprimé son objection à l’égard de cette option qualifiée de « suicidaire » par certains au sein du bloc.
Se voulant plus conciliants avec M. Hariri, « non pas tant par conviction que pour le soutenir dans sa tentative de débloquer la situation », d’autres parmi les participants ont fait montre de plus de flexibilité, se contentant d’exprimer « leur confiance en leur chef et ses choix », comme le rapporte à L’OLJ un député présent à la réunion.
Devant les parlementaires de son bloc, M. Hariri a fait le point évoquant notamment l’impasse au niveau de la situation régionale qui le pousserait à considérer aujourd’hui « l’option Aoun » : notamment le fait « que le Liban n’est plus une priorité » pour les principaux acteurs régionaux, entendre que les pays de la région ont d’autres chats à fouetter, l’échéance présidentielle libanaise étant le dernier de leur souci à l’heure où le Proche-Orient continue de s’embraser et où chacun tire la couverture de son côté.
Des arguments qui n’ont pas pour autant convaincu certains membres du bloc du Futur qui ont fait savoir que les haririens risquent d’y laisser leurs plumes, ayant déjà « perdu une partie de leur base avec des choix (maladroits) faits par le passé, puis avec celui de soutenir la candidature de Sleiman Frangié (le chef des Marada) », comme le rapporte la LBCI en citant une source de la réunion.
Cet argument a été corroboré par l’idée que le bloc du Futur finirait par « tout perdre » notamment aux prochaines élections législatives d’autant que la présidence du Conseil n’est pas nécessairement garantie au chef du courant du Futur, selon cet avis.
« D’ailleurs, argue encore l’un des participants à la réunion dans un entretien express à L’OLJ, ce n’est même pas au sein de notre bloc qu’il faut chercher la réponse à la proposition du soutien à M. Aoun, mais dans la rue. Il faut interroger non seulement notre base populaire, dit-il, mais également d’autres Libanais, de diverses confessions et formations politiques pour leur demander ce qu’ils en pensent réellement », ajoute-t-il, en allusion à la rue sunnite, mais aussi aux Kataëb, au mouvement Amal, dont le chef « continue de rejeter catégoriquement cette option » et, de toute évidence, aux Marada et à leurs sympathisants.
Autrement dit, l’obstacle ne se situe pas au sein du seul courant haririen. Nabih Berry, qui officiellement continue de lier la présidentielle à la concomitance d’un « mini-Doha » (entente préalable sur le Premier ministre, la composition du gouvernement et la loi électorale), n’est « pas du tout chaud à l’idée » d’un Michel Aoun à la présidence de la République, confie une source du 14 Mars. Il reste à voir si la visite de M. Hariri au chef du législatif, qui devrait avoir lieu incessamment, pourra changer la donne.
Qui plus est, les Kataëb ont fait savoir à de nombreuses reprises leur opposition farouche à ce qu’ils considèrent être un véritable « rapt de la République contre rançon », dénonçant les « chantages » qui entourent les transactions autour de l’échéance, avec un doigt pointé en direction du Hezbollah. Ce dernier continue d’ailleurs de faire « profil bas », en gardant un mutisme absolu autour de ce bras de fer que mènent ses alliés-candidats en lice. « Comme d’habitude, le parti chiite attend que tout le monde dévoile ses cartes », commente encore une source du 14 Mars.
Quant à Sleiman Frangié, il a clairement fait savoir hier, par le biais de son ministre, Rony Arayji, qu’il « ne renoncera pas à sa candidature, quand bien même M. Hariri aurait décidé de soutenir M. Aoun ». Le ministre a voulu apporter une nuance supplémentaire aux précédents propos de M. Frangié qui avait indiqué qu’il ne se retirerait de la course « que dans le cas d’une entente globale entre l’ensemble des forces politiques » et « non seulement sur sollicitation de M. Hariri », a précisé M. Arayji.
Pour l’heure, on peut retenir un message : en prenant une nouvelle initiative en vue de sortir le pays de l’impasse, M. Hariri veut surtout se décharger une fois pour toutes de la « responsabilité de bloquer » la présidentielle qui lui est imputée par le camp adverse. C’est sous cet angle qu’il faut comprendre sa nouvelle résolution à rencontrer l’ensemble des parties politiques, dont le chef du CPL, pour défricher le terrain et examiner les possibilités en vue.
Rien n’est encore joué. Et si le CPL a décidé hier de reporter à une date ultérieure son escalade annoncée, « c’est pour donner des chances à l’initiative de Saad Hariri ».