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Berry et Aoun s’envoient des messages indirects

Fady NOUN

C’est avec prudence, en prenant leur temps et à petits pas que les protagonistes de la crise interne ont décidé d’avancer en direction de ce qu’ils espèrent être une sortie de crise. Ainsi, Nabih Berry et Michel Aoun se sont employés hier à défaire le nœud de ce que certains considèrent comme une antipathie incoercible entre eux. Pour prouver le contraire, M. Berry a souligné, dans un communiqué de son bureau de presse, qu’il est un homme de vision et qu’il n’y a rien de personnel dans sa conviction qu’un accord sur la présidentielle doit s’accompagner d’ouvertures sur d’autres échéances aussi.

En soirée, Michel Aoun lui a rendu la politesse en affirmant qu’il ne critique aucun responsable en particulier quand il se prononce sur des situations politiques qu’il juge anormales. Voilà qui est réglé.
Des activistes comme Élie Ferzli n’ont pas hésité à faire de la surenchère dans cette direction, affirmant que « la relation entre Aoun et Berry n’a jamais été que bonne, surtout sur le plan personnel ». Faite à partir de Rabieh, cette déclaration était elle-même un message, une sorte de communication indirecte entre Rabieh et Aïn el-Tiné. « Dire que Michel Aoun tourne le dos aux positions de Nabih Berry est une fausseté ; la vérité, c’est qu’il reconnaît la position occupée par le président Berry », n’a pas hésité à lancer M. Ferzli. L’autre fausseté veut que l’élection de M. Aoun constitue une profonde blessure pour M. Berry, alors qu’en réalité, le discours que tient Nabih Berry est le suivant : « Je n’ai jamais nié le rôle qu’il a joué depuis son retour au Liban, et ne le ferai jamais. »
« Comme fils des institutions et de la Constitution, Michel Aoun ne saurait que respecter les institutions », a conclu sur son ton flagorneur Élie Ferzli. Et d’avancer que si M. Aoun s’était élevé contre la prorogation du mandat de la Chambre, c’était parce qu’une telle décision était de nature à « porter atteinte à la légitimité » de la Chambre.
En tout état de cause, ces petits pas, ces clarifications, prouvent que l’on est dans une initiative de sortie de crise sérieuse et que c’est sans doute le sens des responsabilités de Saad Hariri qui l’a poussé à briser l’immobilisme et à tenter de débloquer la situation. C’est au point, cependant, que le ministre des Affaires sociales, Rachid Derbas, a conseillé hier au chef du courant du Futur, « de ne pas se faire injustice en acceptant l’accusation selon laquelle il est responsable du blocage ». « Beaucoup de parties en sont responsables collectivement », a-t-il ajouté. Combien de nœuds de cet ordre devra-t-on défaire pour faire avancer les choses, nul ne peut le dire.
Par ailleurs, Saad Hariri a poursuivi hier son parcours d’entretiens, et a été reçu par Samir Geagea et Michel Aoun. En présence, dans ce dernier cas, de Gebran Bassil. Du côté de Rabieh, on a gardé secrète la teneur de la conversation, mais pas du côté de Samir Geagea. Ce dernier n’a pas hésité à parler d’une « nouvelle étape » dans l’historique de la crise et même à se dire enclin à l’optimisme. Les divergences apparues entre les deux hommes sur la personne du futur président « se sont réduites », a dit M. Geagea, avant de s’en prendre au Hezbollah qui, il en est certain, « ne veut pas de président », mais cache son jeu.
Quoi qu’il en soit, et pour en revenir à M. Derbas, ce dernier a écarté la possibilité d’un règlement à court terme de la crise, comme le laisse deviner le décision de fixer la prochaine séance électorale présidentielle à la fin du mois d’octobre. M. Derbas a souligné que l’importance de la rencontre entre les deux hommes ne doit pas être minimisée, bien que, de part et d’autre, on se soit montré extrêmement réservé sur ce qui s’y est dit.
Selon le ministre des Affaires sociales, c’est par inquiétude pour l’avenir économique du pays que M. Hariri a décidé de bouger, et que ce souci comprend notamment l’avenir des ressources pétrolières et gazières offshore du Liban.
Une chose est sûre, entre-temps, c’est que la décompression qui marque le climat politique interne, avec l’arrêt du chantage à la violence du CPL, afin de laisser aux contacts leurs chances d’aboutir sans les parasiter par des actions indues. C’est ainsi que dans les milieux proches des partis chrétiens, on s’est dit satisfait du cours que prennent les choses.
Fort heureusement, le Conseil des ministres s’apprête à se réunir jeudi prochain, dans un climat qui semble s’assainir de jour en jour. C’est ainsi que, parant au plus pressé, le ministre de la Défense, Samir Mokbel, a désigné hier un nouveau chef d’état-major de l’armée, sauvant cette institution de la paralysie qui la menaçait si les querelles politiques étaient restées les mêmes.
Sur le plan de l’opinion toutefois, c’est le proverbe chat échaudé craint l’eau froide qui a cours. Tout comme le Thomas de l’Évangile, tant que l’on n’a pas senti substantiellement qu’un président a été élu, tout le reste sera de la spéculation ad nauseam, des querelles byzantines qui s’éternisent pendant que la population languit sans eau, sans débouchés pour ses pommes, sans dépotoir pour ses ordures, sans moyens de liberté, sans égalité devant la loi, sans fraternité ni entre elle, ni avec une population débarquée de Syrie qui la prive de travail.