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Présidentielle : la route de Baabda n’est qu’à moitié ouverte devant Aoun

Tilda ABOU RIZK 
Bien qu’encore semée d’embûches, la voie entre Rabieh et Baabda s’ouvre progressivement devant le chef du bloc parlementaire du Changement et de la Réforme, le général Michel Aoun, pendant qu’elle se fermait hier entre la Maison du Centre et Aïn el-Tiné, où l’on se considère pratiquement trahi par le chef du courant du Futur, Saad Hariri.
Sauf imprévu, Michel Aoun devrait se rendre demain jeudi à la Maison du Centre où l’ancien président du Conseil annoncerait officiellement son soutien à sa candidature, lâchant du même coup celui qu’il soutenait depuis décembre dernier, le chef des Marada et ancien allié du général Aoun, Sleiman Frangié. Hier, Saad Hariri a solennellement annoncé sa décision à deux représentants des Marada, le ministre Rony Arayji et le député Youssef Saadé, et leur a expliqué, selon des sources proches du chef du courant du futur, que « les Marada ne pouvaient pas lui reprocher son initiative parce que le pays est au bord de l’effondrement et que tous les efforts qu’il a fournis depuis un an pour faire accéder Sleiman Frangié à Baabda n’ont rien donné ».
La visite de M. Aoun à la Maison du Centre était prévue aujourd’hui, ce qui explique en quelque sorte l’intensification de la ronde des contacts politiques, menés tout au long de la journée à une cadence pratiquement inhabituelle. Son timing a été vivement contesté cependant au sein du bloc du Futur, parce qu’il coïncide avec le 4e anniversaire de l’assassinat du chef des SR des FSI, le général Wissam el-Hassan, dans un attentat à la voiture piégée, le 19 octobre 2012. À la levée de boucliers du général Achraf Rifi – qui a indirectement appelé le chef du Futur à « ne pas brader le sang de Rafic Hariri, Wissam el-Hassan et tous les martyrs de la révolution du Cèdre » –, le député Ahmed Fatfat a fait écho, durant la réunion hebdomadaire du bloc du Futur, en demandant expressément à M. Hariri de reporter cette échéance.
Que l’annonce de l’appui haririen à Michel Aoun soit pour aujourd’hui ou demain, l’effet sur la scène politique locale restera cependant le même : il y a bien sûr cette liesse incommensurable qui s’amplifie dans les rangs aounistes où l’on voit déjà le rêve du général se réaliser, mais il y a surtout cette immense colère et incrédulité de tous ceux qui ont vu dans cet appui un coup de Jarnac inexplicable, une trahison ou tout simplement une tactique qui risque de coûter cher au chef du courant du Futur.
Jamais un événement au Liban n’aura peut-être suscité autant de réactions contradictoires et semé un si grand désordre dans le paysage politique. Pour résumer, le courant du Futur est divisé, les Forces libanaises sont satisfaites, Walid Joumblatt est furieux, Nabih Berry est déchaîné, le Hezbollah reste circonspect, les Marada observent un silence radio, les Kataëb restent prudents.

De l’ambiguïté
L’alliance Aoun-Hariri épouvante ceux qui s’y opposent, en raison de l’ambiguïté qui l’entoure. Personne, pas même dans l’entourage du chef du courant du Futur, ne sait sur quoi porte l’entente entre les deux hommes. Des députés haririens ont essayé hier sans succès, durant une réunion très mouvementée de leur bloc, de s’enquérir auprès de leur chef des raisons qui l’ont poussé à adhérer à l’élection de Michel Aoun et de lui expliquer les dangers d’une telle alliance. « Il y va de l’intérêt du pays », aurait laconiquement répondu M. Hariri sans vouloir trop s’étaler sur les points sur lesquels il s’est entendu avec son nouveau poulain, se contentant d’assurer, au sujet des dangers évoqués, qu’il a « des garanties ». Ce à quoi un parlementaire lui aurait fait remarquer qu’il ne s’était pas embarqué dans une aventure pareille lorsqu’il avait des garanties saoudiennes et occidentales.
Même si les députés haririens hostiles à l’élection de Michel Aoun sont nombreux, deux seulement sont déterminés à ne pas donner leur voix au fondateur du CPL : Fouad Siniora et Ahmad Fatfat, ce dernier ayant été, rappelle-t-on, le seul député du bloc à ne pas voter en faveur d’une reconduction du mandat du président Émile Lahoud en septembre 2004.
Le bloc du président de la Chambre, Nabih Berry, a déjà affiché la couleur. Non seulement ses membres déposeraient des bulletins blancs dans l’urne, mais il se place d’ores et déjà dans l’opposition. M. Berry s’est empressé de faire passer le message à Saad Hariri, en dépêchant son adjoint politique, le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, auprès de lui. Un peu plus tôt, M. Khalil avait fait une déclaration fracassante en affirmant que le bloc auquel il appartient ne tolérerait pas un retour au tandem sunnito-maronite. « Gebran Bassil évoque tout le temps le pacte national, mais jamais l’entente nationale. Il parle donc d’un retour vers le pacte de 1943 et vers le tandem sunnite/maronite, chose que nous affronterons », a-t-il dit, en marge de la réunion parlementaire consacrée hier à l’élection des membres et des présidents des commissions. « Un discours inacceptable », a rétorqué le bloc du Changement et de la Réforme.
Il reste que selon des sources proches du président de la Chambre, Nabih Berry serait allé plus loin dans ses avertissements contre Saad Hariri. De mêmes sources, on apprend que M. Berry aurait rappelé devant ses visiteurs qu’il assurait en permanence l’ancien chef du gouvernement de son soutien indéfectible, mais qu’aujourd’hui il se sent poignardé dans le dos et prêt à rendre le coup. Il se serait même fait menaçant en laissant entendre qu’il ne faciliterait pas la formation d’un gouvernement.

Un obstacle de taille
Pour Michel Aoun, la route vers Baabda reste donc à moitié ouverte. Les obstacles à surmonter demeurent nombreux et celui de la formation d’un gouvernement n’en est pas des moindres. Pour donner la chance à de nouveaux contacts susceptibles de rassurer le président de la Chambre, il est question, depuis hier, d’un report de deux semaines de la réunion parlementaire électorale du 31 octobre, d’autant que M. Berry doit se rendre vendredi à Genève et ne retournera que le 28 octobre à Beyrouth. Cet ajournement, souhaité notamment par le Hezbollah qui se trouve coincé entre l’enclume de son allié chrétien et le marteau de son autre allié chiite, est considéré comme étant important pour apaiser les esprits et essayer de rapprocher les points de vue. Les concertations ont commencé depuis hier d’ailleurs. Le député Ibrahim Kanaan (bloc Aoun) s’est rendu auprès du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, pendant qu’une délégation du PSP comprenant Taymour Joumblatt, Akram Chehayeb, Waël Bou Faour et Ghazi Aridi était reçue à Aïn el-Tiné.
Également importuné par le mystère qui entoure l’alliance Aoun-Hariri, le chef du PSP, Walid Joumblatt, a exprimé sur son compte Twitter son mécontentement d’avoir été lui aussi écarté du dialogue autour de la présidentielle, en rappelant que son parti avait été « le premier à avoir proposé la candidature du député Henri Hélou à la présidentielle » afin de débloquer le dossier. « Nous ne sommes pas un troupeau de moutons, même si les circonstances que traverse le pays sont exceptionnelles et requièrent un consensus exceptionnel », a-t-il ajouté.