Fady NOUN |
Avec la prise de position du bloc du Rassemblement démocratique de Walid Joumblatt, et la tournée exhaustive de l’émissaire saoudien Samer el-Sabhan, les derniers éléments de la scénographie parlementaire présidentielle de lundi prochain se mettent en place.
Dans la grande tradition de balancier dans laquelle il excelle, l’appui de Walid Joumblatt à Michel Aoun, qu’il a reçu à son domicile du secteur Clemenceau, a été précédé d’une ultime coordination avec le président de la Chambre, Nabih Berry, rentré de Genève.
« Si quelques différences existent entre nous, elles sont de pure forme. En définitive, nos luttes communes pour l’arabité du Liban et la Palestine ont été scellées par le sang. Le président Berry reste le premier personnage de l’État à avoir le souci de la bonne marche de l’État et de la stabilité », a lancé Walid Joumblatt à l’issue de l’entretien avec le président de la Chambre.
La veille, Walid Joumblatt avait déploré « la dégradation politique et morale » atteinte par un « nouveau Liban » auquel, avait-il assuré, il ne s’habituera pas.
M. Joumblatt a par ailleurs pris soin d’affirmer, devant les journalistes, que certains membres de son bloc parlementaire (11 députés) pourraient ne pas suivre la consigne de vote.
En tout état de cause, avec le ralliement de Walid Joumblatt à sa candidature, Michel Aoun disposerait, selon une estimation première, d’un minimum de 74 voix en sa faveur, compte tenu des voix dissidentes qui pourraient se manifester au sein du bloc du Futur et du Rassemblement démocratique et le priver d’une dizaine de voix des deux blocs réunis. Sachant par ailleurs que des contacts se poursuivent pour « raisonner » ces opposants, ce qui devrait améliorer son score. La quarantaine de voix restantes se répartiraient entre Sleiman Frangié et le bulletin blanc.
M. Berry, de son côté, a continué hier de marquer son hostilité à l’élection de Michel Aoun, en allant à contre-courant de la décision de fermeture des écoles et universités décidée pour lundi par le ministre de l’Éducation nationale, Élias Bou Saab. Les établissements scolaires relevant du mouvement Amal ne se conformeront pas à la décision de fermeture. En outre, de grands panneaux le représentant, de profil, avec Sleiman Frangié bordent depuis hier l’avenue de l’aéroport et ses fiefs politiques en banlieue. Décidément, le président de la Chambre a la rancune tenace. Mais son humeur massacrante, qui éclate sur les photos, pourrait être justifiée. Tout indique, en fait, qu’il pourrait être l’un des grands perdants du compromis politique qui permet à Michel Aoun d’accéder à la première magistrature.
Mais cette opinion doit être nuancée par une déclaration de Mohammad Raad, chef du bloc parlementaire du Hezbollah, qui a affirmé hier que les positions entre Amal et le Hezbollah « sont concertées » et que chacune des deux formations « comprend » la position de l’autre; le but final de cette concertation étant de préserver le rôle de la composante chiite dans l’exercice du pouvoir.
Quant à l’inopinée et exhaustive tournée de trois jours de l’émissaire saoudien Samer el-Sabhan au Liban, elle illustre ce que beaucoup considèrent comme un « come-back » saoudien sur la scène libanaise, après la « bouderie » saoudienne qui a conduit à la suspension du don saoudien de 3 milliards de dollars à l’armée. Selon des sources fiables, le diplomate saoudien a annoncé que l’Arabie saoudite va redynamiser ses relations avec le Liban, ce qui, espère-t-on, pourrait pousser d’autres pays du Golfe à en faire de même. Enfin, le diplomate saoudien serait le prochain ambassadeur de son pays chez nous, ce qui le mettra en position d’appuyer l’action du prochain gouvernement.
Il reste toutefois que la situation générale reste ambiguë. Ainsi, l’émissaire saoudien a affirmé que le « dossier » du Hezbollah est, aux yeux de l’Arabie saoudite, indépendant de la configuration politique au Liban, et que ce parti est toujours considéré comme une organisation terroriste. Comment le royaume wahhabite entend gérer ce dossier, dans un Liban pluraliste et démocratique, reste à définir.
Même sur le plan local, des rapports politiques ont été fragilisés, ou plutôt envenimés par la campagne agressive du Courant patriotique libre, dont on ignore comment ils pourraient être apaisés. C’est le cas, en particulier, pour le lien entre Michel Aoun et Sleiman Frangié, et l’on apprend à ce sujet que la tournée des grands leaders parlementaires effectuée par Michel Aoun exclura Bnechii.
À deux jours d’un scrutin à l’issue assurée, les observateurs se demandent si Michel Aoun saura être à la hauteur de l’image d’homme providentiel qu’il veut assumer, s’il saura transcender le baroudeur en lui, réellement rebâtir une unité nationale en lambeaux et ne pas engager plusieurs batailles à la fois ? « Wait and see », affirment les plus placides, voyons si les espoirs placés sur l’homme sont fondés. Comme dit la vieille sagesse politique, « si vous voulez vraiment tester un homme, confiez-lui le pouvoir et l’argent ». Voyons si le Michel Aoun de Baabda restera l’incorruptible Michel Aoun de Rabieh.