Après la déferlante orange qui a suivi l’élection de Michel Aoun, place à la déferlante bleue qui s’est manifestée hier aux quatre coins du pays pour célébrer la désignation, avec un score plus que respectable, du chef du courant du Futur, Saad Hariri, à la tête du prochain gouvernement.
Si l’effervescence qui a suivi l’élection de Michel Aoun à la présidence de la République est venue entériner une « légitimité chrétienne » et « une représentativité notoire » dont se prévalait le Courant patriotique libre rejoint par les FL, la liesse populaire qui a gagné la rue sunnite devait illustrer le chemin inverse : à savoir un regain de légitimité pour le courant du Futur, pour Saad Hariri plus précisément. Les manifestations de joie qui se sont étendues au Akkar, en passant par Tripoli, où le Premier ministre désigné a connu au printemps dernier un échec cinglant aux municipales, auront sans aucun doute contribué à redorer son image de marque et sa popularité qui se trouvait sur une pente descendante.
Seul manquait à ce tableau d’euphorie générale la partition de la composante chiite, plus particulièrement dans son volet représenté par Amal. Car si le Hezbollah continue d’afficher sa « victoire » après l’élection à la tête de l’État de son candidat favori, bénissant, bon gré mal gré, la coalition surprenante qui a eu lieu entre le CPL, les FL et le courant du Futur à l’origine de cette victoire, ce n’est pas tout à fait le cas pour le mouvement Amal, qui a boudé Michel Aoun par le biais des bulletins blancs.
En acceptant de désigner Saad Hariri à la tête du gouvernement, envers lequel « il s’est acquitté de sa dette », comme il a dit, son chef, Nabih Berry, a rattrapé le train en marche non sans clamer haut et fort sa place dans la locomotive, en sa qualité de copilote aux côtés des deux pilotes chrétien et sunnite.
« J’ai déjà annoncé mon soutien à M. Hariri, qu’il ait tort ou raison », a-t-il dit hier à l’issue des consultations parlementaires, laissant entrevoir la possibilité qu’il passe dans l’opposition s’il n’est pas satisfait de la composition du futur gouvernement. M. Berry a tenu d’ailleurs à faire une distinction claire entre la désignation du futur Premier ministre et « la formation du cabinet qui est une autre paire de manches », faisant clairement remarquer que la bataille pour le gouvernement n’est pas encore gagnée. S’abstenant de désigner le chef du courant du Futur, le Hezbollah a exprimé sa solidarité entière avec M. Berry, même s’il faut le rejoindre dans l’opposition.
Cette hypothèse ne serait, semble-t-il, que de pure forme, aucun gouvernement n’étant considéré comme viable sans l’aile chiite. D’autant que le nouveau président et le chef du courant du Futur n’ont cessé d’insister, tour à tour, sur le principe d’un gouvernement d’entente nationale qui « dépasserait les divergences politiques et miserait sur l’unanimité exprimée par toutes les parties à l’égard du discours d’investiture », a dit M. Hariri.
Le tandem chiite a-t-il d’ailleurs intérêt à bloquer la formation d’un gouvernement dont la durée de vie ne dépassera pas les six mois, soit jusqu’à la veille des législatives qu’il est censé organiser d’ici à juin prochain ? À ce jour, la volonté d’ouverture et de coopération exprimée par l’ensemble des protagonistes montre le contraire. L’entretien qu’a eu hier M. Berry avec le chef de l’État laisse croire que la crise devrait se résorber sans trop de difficultés, les blocages, sous toutes leurs formes, s’étant avérés improductifs, voire destructifs pour le pays.
« On peut tout au plus s’attendre à des obstacles traditionnels, au niveau de la répartition des portefeuilles ministériels, mais il n’y aura plus de bataille politique », a assuré à L’OLJ le ministre de l’Intérieur Nouhad Machnouk, lors d’une réception donnée par M. Hariri à la Maison du Centre.
De sources concordantes, on apprenait également d’ailleurs que le nœud gordien du ministère des Finances, que convoitent Amal aussi bien que les FL, finira probablement par être octroyé au premier, histoire de rétablir les pouvoirs entre le trio sunnite-chiite-chrétien au sein de l’exécutif.
Sans vouloir pour autant contredire les propos du chef de sa formation qui a clairement laissé entendre que le ministère des Finances devrait revenir aux chrétiens, une source proche des FL a confié à L’OLJ que le débat est « ouvert à la discussion ». Autrement dit, les Forces libanaises pourraient se contenter d’un autre ministère régalien, sachant que le ministère des Télécoms leur aurait déjà été promis. Il sera très probablement confié à Ghassan Hasbani, un ingénieur télécoms formé aux États-Unis, assure la source.
Quant à la fameuse déclaration ministérielle, qui a souvent constitué l’un des principaux facteurs d’obstruction lors de la formation des gouvernements précédents, elle serait déjà prête, dit-on de sources concordantes. C’est le discours d’investiture de M. Aoun qui sera repris, sinon à la lettre, du moins dans l’esprit, et adopté comme déclaration, la majorité des parties en présence ayant déjà avalisé l’idée.
Ce texte fera l’unanimité, estime un responsable politique qui a requis l’anonymat, et pour lequel il n’y a aucune raison pour que le Hezbollah le rejette.
C’est le député Marwan Hamadé qui a le mieux exprimé la mission du futur gouvernement hier, en affirmant, dans une déclaration à L’OLJ, que « le prochain gouvernement sera un conseil d’administration qui va s’occuper de la logistique des législatives et de l’administration intérieure du pays ».
Autant de défis qui ne sauraient être remportés en dehors d’une politique d’inclusion de toutes les formations en présence, « même ceux qui n’ont pas voté pour moi », a signalé le chef du courant du Futur.
Un optimisme que partage une majorité des membres de son bloc présents hier à la Maison du Centre, qui s’est dit confiante que le gouvernement sera mis sur pied très prochainement, « peut-être même avant le 22 novembre, comme l’espèrent MM. Aoun et Hariri », indique M. Machnouk.