Les milieux politiques restent perplexes quant aux retombées sur la genèse du cabinet de la polémique, soulevée jeudi dernier par le président de la Chambre, Nabih Berry, en réponse au président de la République, Michel Aoun, qui avait fustigé à Bkerké les rallonges répétées du mandat parlementaire – ainsi que l’autre échange, parallèle, entre le patriarche maronite et le vice-président du Conseil supérieur chiite.
Nombreux sont ceux qui évoquent un freinage des négociations autour du prochain cabinet et la possibilité d’un nouveau round de négociations, sur base d’une composition nouvelle, qui pourrait bien s’élargir à trente, une composition que préconise par exemple le Hezbollah.
D’autres, en revanche, croient savoir que la polémique a été contenue et que le processus de formation du cabinet va bon train.
Ce qui est sûr toutefois, c’est que cette controverse a miné les déclarations de bonne volonté partagées entre le président de la République et le président de la Chambre, à la suite de la tenue de la présidentielle. Un observateur lie d’ailleurs cette polémique aux « gesticulations burlesques » ayant marqué la séance électorale.
Cet épisode serait donc symptomatique d’un malaise du tandem Amal-Hezbollah, né avec le compromis Aoun (que certains milieux du 8 Mars situent dans le cadre d’un accord israélo-américain visant à saper le Hezbollah). Ce malaise se serait mû en « une inquiétude d’une possible alliance Futur-Forces libanaises, qui prendrait forme autour du président de la République au sein du cabinet ». D’autant plus que, selon les tenants de cette théorie, le discours d’investiture a substitué au triptyque armée-peuple-résistance l’impératif de mettre le Liban à l’écart des conflits régionaux, de libérer le territoire par tous les moyens de résistance et de s’attacher à l’esprit, la lettre et l’équation (de la parité) instaurée par Taëf, dont l’amendement ne serait possible qu’à l’unanimité. Certaines autorités chiites y auraient vu de mauvais auspices pour le Hezbollah.
Dans la suite de ce raisonnement, l’enjeu de la parade militaire de Qousseir aurait servi de mesure préventive, inspirée de la méthode traditionnelle du Hezbollah de mettre en avant sa dualité interne-externe pour se défendre : feindre une politique d’ouverture interne, et la contrebalancer par la méthode d’intimidation par les armes.
Cette dualité se manifeste à un double niveau. D’abord, au niveau du président de la Chambre, qui a prononcé devant ses visiteurs des propos quelque peu mitigés. Ceux-ci rapportent qu’il aurait préféré « ne pas se laisser entraîner dans cette polémique, surtout qu’il a tout fait pour faciliter la naissance du cabinet. Mais qu’il n’était pas possible d’ignorer des propos formulés à l’encontre de la Chambre ». Alors qu’il « préférerait ne plus évoquer cette polémique », il n’a prononcé aucun propos susceptible de la dissiper.
En outre, le Hezbollah semble se livrer à un double jeu. D’une part, il aurait conseillé à plus d’une reprise au président de la République d’assainir ses rapports avec Nabih Berry. D’autre part, il aurait incité ce dernier à durcir le ton au niveau des négociations ministérielles et de ne pas compromettre ses revendications, précisément celle relative au ministère des Finances et la reconduction du ministre Ali Hassan Khalil.
C’est d’ailleurs l’emphase presque provocatrice du président de la Chambre sur cette demande qui aurait incité le chef de l’État à tenir ses propos controversés sur le seuil de Bkerké, rapporte notre informateur Philippe Abi Akl. Certains diront que la tactique berryiste a réussi son dessein d’induire un gel des négociations ministérielles.
Un gel qui offrirait au Hezbollah une alternative gagnante : soit les négociations seront relancées, auquel cas le tandem chiite y sera impliqué au même titre que le président de la République et le Premier ministre (sachant que la Constitution restreint à ces deux derniers la compétence à former le gouvernement) ; soit il s’ouvrira une nouvelle période de blocage, une option plausible selon une lecture qui invoque la possibilité pour le Hezbollah d’attendre voir les développements d’Alep, pour décider des conditions de sa participation au pouvoir au Liban.
À cet égard, le rôle du président de la République serait crucial pour la relance des institutions. Il a en effet compétence constitutionnelle à avaliser la mouture élaborée par le Premier ministre désigné et à décider, avec lui, d’émettre le décret de la formation du cabinet, de sorte à contourner certaines difficultés restantes : l’attachement des Marada à un portefeuille dit de service pourrait ainsi ne pas être pris en compte, mais leur participation assurée, bon gré mal gré, à travers le portefeuille de l’Éducation.
Mais des sources relativement pessimistes, citées par notre correspondante au palais de Baabda, Hoda Chedid, estiment qu’il existe plus d’une difficulté de fond qu’il reste à régler : le profil des trois ministres relevant du président de la République, sachant que sa quote-part pourrait fort possiblement inclure un ministre sunnite et un ministre chiite – dont le nom devrait être entériné par le Hezbollah. Cela ôterait, le cas échéant, la possibilité pour le parti chiite d’intégrer le PSNS dans sa quote-part.
L’autre problème porte sur la participation des Kataëb, rendue impossible par la large quote-part des Forces libanaises (trois partisans et un indépendant). Les milieux des FL ont d’ailleurs bien fait comprendre hier qu’il n’y avait aucune chance de revoir leur représentation à la baisse. Selon des sources FL citées par l’agence d’information al-Markaziya, « celle-ci est définitive et hors débat : la vice-présidence et les Travaux publics iront à Ghassan Hasbani, les Affaires sociales à Pierre Bou Assi et l’Information à Melhem Riachi, sans compter le Tourisme à Michel Pharaon (indépendant qui relèverait des FL) ».
L’entretien hier au palais Bustros du président des Kataëb, Samy Gemayel, avec le ministre sortant Gebran Bassil, en présence du ministre sortant Alain Hakim et de Serge Dagher, du ministre sortant Élias Bou Saab et du député Simon Abiramia, a été axé sur la solidarité des Kataëb avec le chef de l’État. « Nous sommes convenus de mettre au point un projet commun de loi électorale », a dit M. Gemayel. Selon notre correspondant au palais Bustros, Khalil Fleyhane, le CPL insisterait sur la participation des Kataëb, à l’heure où le président de la République entendrait prendre une période de répit, dans le but de mettre sur pied un cabinet qui soit « véritablement d’union nationale »…