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Geagea à Aoun : « Ce mandat est le vôtre. Ne permettez à personne de le gâcher »

Yara ABI AKL

C’est dans la foulée des incidents survenus dimanche dernier à Qabrchmoun, dans le caza de Aley (qui avaient coûté la vie à deux grades du corps du ministre d’État pour les affaires des Réfugiés, Saleh Gharib, lors d’échanges de tirs entre des partisans de Talal Arslane, chef du Parti démocrate libanais, et d’autres relevant du Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt), que le leader des Forces libanaises, Samir Geagea, a tenu à se rendre à la Maison druze, mardi dernier, à la tête d’une importante délégation de son parti.

Il est vrai que la visite avait pour objectif de présenter au cheikh Akl druze, Naïm Hassan, les condoléances à la suite du décès, il y a près d’une semaine, du cheikh Ali Zeineddine, fondateur de l’association druze al-Irfane. Mais c’est surtout sous un angle éminemment politique qu’il conviendrait d’aborder ce geste particulièrement symbolique des FL en direction de la communauté druze. Et pour cause : à travers sa visite rendue au cheikh Akl appuyé par le leader de Moukhtara, Samir Geagea a adressé de très subtils messages politiques tant à ses alliés traditionnels, à savoir Saad Hariri et Walid Joumblatt, qu’à son partenaire chrétien, le chef du CPL, Gebran Bassil, et, plus globalement, au camp du 8 Mars dans son ensemble.

Une façon très diplomatique de rappeler en quelque sorte son réel positionnement politique. En clair, la visite de M. Geagea à la Maison druze se résume comme suit : il s’agit d’une occasion pour réaffirmer l’attachement des FL à la réconciliation druzo-chrétienne de 2001 (d’autant que le parti des FL avait contribué avec le patriarche émérite Nasrallah Sfeir à ce processus) ainsi qu’à l’alliance traditionnelle entre Moukhtara et Meerab.

Dans une interview express accordée hier soir à L’Orient-Le Jour, Samir Geagea paraît conscient des retombées politiques de son geste envers la communauté druze et Walid Joumblatt, mais il préfère commencer par mettre l’accent sur les rapports d’amitié ayant lié son parti au cheikh Zeineddine. « Nous nous sommes rendus à la Maison druze pour présenter nos condoléances à la suite de la disparition du cheikh Zeineddine, dans la mesure où il était un grand ami des FL, mais aussi un ami personnel », confie-t-il.

Mais à la faveur de son pragmatisme politique, M. Geagea reconnaît que « dans les circonstances actuelles, un tel geste est particulièrement symbolique et a des répercussions positives ».

Sans hésitation, il explique que le premier message qu’il a tenu à adresser à partir de Verdun est le suivant : « Il n’y a pas de problème entre chrétiens et druzes (dans la Montagne) ». Une façon pour le locataire de Meerab de répondre à Saleh Gharib qui, quelques heures après les incidents de dimanche, avait dénoncé « une tentative d’assassinat perpétrée contre Gebran Bassil ». Il réagissait aussi à des propos antérieurs du chef du CPL dans lesquels ce dernier avait estimé que « la réconciliation n’est pas encore achevée, notamment dans son volet politique ».

« Nous avons assuré que nous sommes un grand parti chrétien bien présent (dans la Montagne) et que nous sommes attachés à la réconciliation de 2001 jusqu’au bout », affirme encore Samir Geagea, qui s’empresse toutefois de préciser que la réconciliation en question « a été mise sur les rails ». « Mais il faut que tous les protagonistes déploient des efforts pour la préserver et la maintenir, et éviter tout comportement ou tout discours susceptibles de laisser des retombées négatives sur ce long processus », souligne M. Geagea. Des propos qui sonnent comme une critique implicite aux discours prononcés par Gebran Bassil lors de sa tournée dans le caza de Aley le week-end dernier.

Sans vouloir s’en prendre nommément au chef de la diplomatie, M. Geagea ajoute : « Les responsables politiques devraient être dotés de clairvoyance, mais aussi d’une vision claire. Ils devraient éviter les propos dont le timing pourrait paraître inopportun. »

L’accord de Meerab, « une constante »

Mais en dépit de ces critiques implicites à Gebran Bassil, doublées de plusieurs différends ayant opposé récemment les deux formations chrétiennes majoritaires, Samir Geagea tient à ce qu’il perçoit comme « une constante » : la réconciliation avec le CPL. « Nous maintenons cette entente en dépit de toutes les divergences avec Gebran Bassil, dans la mesure où celles-ci ne devraient aucunement empêcher la réconciliation avec le CPL », explique M.Geagea.

S’il est conscient de l’importance de préserver la réconciliation interchrétienne, le locataire de Meerab semble tout aussi attaché à ses relations solides avec Saad Hariri et Walid Joumblatt. D’autant que les trois partis en question ainsi que les Kataëb sont perçus comme le fer de lance de la bataille souverainiste au Liban et ont joué un rôle important pour que soit scellée la réconciliation druzo-chrétienne de 2001. « Nous veillons à maintenir nos bons rapports avec le Premier ministre. Quant à Walid Joumblatt, notre (bonne) relation avec lui est issue de la réconciliation de la Montagne », déclare Samir Geagea, soulignant que son parti et celui du leader druze s’accordent sur la majorité des dossiers d’actualité.

Insistant sur le fait que le Futur, le PSP et les FL n’ont pas besoin de contacts permanents pour consolider leurs rapports, il affirme que la bataille politique devrait être dirigée dans le sens de l’édification d’un État et de la résolution des crises sociale et économique. « Nous sommes devant deux problèmes, l’un de nature sociale et économique, et l’autre lié au fait que l’État est encore défaillant parce qu’il fait face à un mini-État, fort d’un arsenal illégal », analyse-t-il, assurant par la même occasion que face à ces crises, « il n’est pas question pour les FL de démissionner du gouvernement ». « Même si cela dérange certains. Mais nous ne resterons pas les bras croisés face à des marchés douteux et des agissements qui ne vont pas dans le sens des intérêts du pays », assure Samir Geagea, avant d’adresser un dernier message au chef de l’État, Michel Aoun, pour l’exhorter, une fois de plus, à intervenir pour sauver la situation : « Ce mandat est le vôtre. Ne permettez à personne de le gâcher. »