Le Courant patriotique libre a réussi son pari du nombre. « Ceux qui misaient sur les divisions apparues au sein du courant » (au lendemain du « parachutage » de Gebran Bassil à la tête du CPL), la réponse leur est venue cinglante, a rappelé le fondateur du courant, Michel Aoun, dans une apparition express, due à sa « voix enrouée ».
« Je suis fier de vous aujourd’hui, et je resterai fier de vous parce que vous avez su préserver le CPL et son message grâce à votre dévouement », a-t-il dit, d’une voix à peine audible.
Placé sous le slogan « seules les élections assainissent », le rassemblement se voulait d’abord une réplique à la manifestation du collectif de la société civile laïque, ensuite au courant du Futur dont plusieurs figures emblématiques ont été conspuées dans les termes les plus violents. Le rendez-vous était également l’occasion de rallier partisans et sympathisants, et de resserrer les rangs pour faire front à la nouvelle vague de contestation laïque. Salué à plusieurs reprises par le commentateur, le Hezbollah était uniquement représenté par certains de ses hymnes révolutionnaires, répercutés par les haut-parleurs géants. « Personne ne saura porter atteinte à la formule peuple-armée-résistance », hurle le commentateur.
La place des Martyrs, jadis lieu-symbole du mouvement du 14 Mars au lendemain de l’assassinat de Rafic Hariri, a été investie hier par une marée de drapeaux orange dans ce qui est apparu comme une tentative de se réapproprier un lieu public que les aounistes estiment avoir été « usurpé au peuple ». « Ce terrain sur lequel nous nous trouvons est un espace qui a été volé aux Libanais », lance cet homme d’une cinquantaine d’années, dans une allusion claire au projet Solidere mis en place par l’ancien Premier ministre assassiné, Rafic Hariri.
Sur l’estrade, la voix de l’animateur intervient à intervalle régulier, interrompant les chants militaires et hymnes dédiés au CPL pour rassurer les participants. « Des centaines de partisans, coincés dans les embouteillages, viendront bientôt grossir vos rangs », dit-il. Les organisateurs ont mis tout le paquet pour relever le défi : les voitures de transport ont été assurées, les parkings également ainsi que la distribution d’eau.
« Je suis venue soutenir toutes les demandes du général », affirme Grace, une dame de 50 ans, qui avait toutefois du mal à préciser quelles étaient exactement ces demandes. Pour dire également « qu’il ne faut pas généraliser la corruption à tout le monde car le fondateur du CPL, lui, est intègre ». Une réponse on ne peut plus directe aux accusations adressées par les sympathisants du collectif « Vous puez ! » et « Nous réclamons des comptes » à la classe politique en général.
« Le tsunami sera de retour »
Dans le cadre de son appel à manifester, Michel Aoun avait pris ses distances par rapport au mouvement de la société civile, en affirmant que « tous les politiciens ne sont pas corrompus » et en leur demandant de « rendre les slogans » qu’ils ont « volés au CPL » s’ils ne sont pas d’accord avec lui.
D’ailleurs, les répliques – implicites cette fois-ci – au propos du collectif devaient être recherchées dans le discours, d’une virulence inhabituelle, prononcé par le nouveau chef du CPL, Gebran Bassil.
En tenue décontractée, le ministre des Affaires étrangères a défini la feuille de route politique du Courant patriotique libre et ses aspirations aux changements qui devaient inclure, cette fois-ci, un large éventail des revendications exprimées avec force la veille par ses concurrents directs, le collectif de la société civile laïque. Se réappropriant le lexique des requêtes socio-économiques – « Nous voulons l’électricité, l’eau, un réseau Internet sophistiqué, etc. » –, le chef du CPL, jadis ministre de l’Énergie, a affirmé : « Nous rêvons d’un État qui garantit les droits de tous, débarrassé des mafias et des milices. Nous rêvons d’une justice et d’une sécurité équitables. Nous rêvons d’une électricité 24 heures sur 24, pas la situation que nous subissons aujourd’hui. Nous rêvons d’eau, contrairement à ceux qui nous empêchent de construire des barrages pour des raisons prétendument écologiques (en référence au barrage de Janné, dans la région de Jbeil, dont les travaux ont été suspendus, NDLR). Nous ne voulons pas d’un pétrole partagé entre les leaders politiques sous le regard des puissances étrangères. »
Sur un ton surélevé, Gebran Bassil a vilipendé ses adversaires politiques, exprimant toutefois son attachement à la formule du partenariat national : « Nous ne voulons pas d’un président qui ne comprend que la langue de bois, ni d’un chef du gouvernement à son image. Nous leur disons : le Liban vous avalera et l’histoire vous recrachera. » Le ministre a réitéré son appel à l’élection d’un président au suffrage direct, « loin des ingérences régionales et internationales », et s’est dit en faveur d’une loi électorale « représentative » sur le mode proportionnel.
« Nous voulons un président libre, élu par le peuple, qui combat la corruption », s’est écrié Gebran Bassil, sous les hourras de la foule des partisans du CPL. « Nous voulons un Parlement non prorogé, élu sur la base d’une loi à la proportionnelle. Nous rêvons d’un Conseil des ministres dans lequel tous les ministres travaillent et respectent les lois », a-t-il ajouté. Et de conclure : « Aujourd’hui, nous, les partisans du CPL, sommes à la place des Martyrs. Demain, tous les Libanais seront au palais du peuple à Baabda. Demain, le tsunami sera de retour. »