Décryptage
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Le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah a surpris son auditoire lundi soir lorsqu’il a lancé une violente attaque contre l’Arabie saoudite, dans l’un de ses discours à l’occasion de la célébration de Achoura. En général, les discours prononcés dans le cadre de cette commémoration sont essentiellement religieux et c’est d’ailleurs dans ce contexte que le leader chiite a intégré ses critiques contre le royaume wahhabite. Tout en cherchant à expliquer les fondements de l’idéologie takfiriste qui est actuellement une menace pour la région et pour le monde en général, Hassan Nasrallah a affirmé qu’elle prend ses racines en Arabie, dans la pensée de cheikh Mohammad ben Abdel Wahhab, qui reste le principal inspirateur de cet islam dur et fermé, totalement intolérant.
Certains analystes ont aussitôt précisé que les propos du secrétaire général du Hezbollah sont dictés par l’Iran, dont les relations actuelles sont au plus mal avec la monarchie wahhabite. Mais ceux qui le connaissent démentent une telle version. Selon eux, ce n’est pas du tout ainsi que cela se passe entre la République islamique et « le sayyed ». Personne ne dicte donc à ce dernier ce qu’il dit. Mais il a simplement profité de l’état des relations entre Riyad et Téhéran pour exprimer son opinion sur la pensée takfiriste qui mine aujourd’hui l’islam. Il ne s’agit donc pas d’une attaque politique contre l’Arabie – comme l’ont interprété certaines figures du courant du Futur – mais d’une constatation et d’une analyse de l’origine et de la source de la pensée takfiriste.
Hassan Nasrallah a fait donc assumer la responsabilité de cette pensée intolérante aux forces occultes en Arabie, qui continuent d’avoir une grande influence dans le pays. Cette influence remonte en fait à l’époque où l’ancêtre du monarque actuel, Ibn Saoud, qui était en train de vaincre les tribus qui résidaient dans ce désert de l’Arabie, a conclu un accord avec cheikh Mohammad ben Abdel Wahhab pour asseoir son pouvoir. Selon cet accord, Ibn Saoud s’empare du pouvoir politique et laisse à cheikh Abdel Wahhab le pouvoir religieux. C’est ainsi que ce dernier (qui est le père du wahhabisme) a pu se charger de l’éducation religieuse des sujets du royaume, contrôlant les mosquées et les écoles religieuses. C’est à cause de lui aussi que l’islam en Arabie est l’un des plus rigoristes dans le monde.
Le problème s’est encore intensifié avec la naissance de la République islamique en Iran qui a radicalisé encore plus la ligne wahhabiste en Arabie. Aujourd’hui, ce pays est doublement sur la sellette. D’une part, les États-Unis, et en particulier l’administration du président Obama, sont en train d’exercer des pressions sur les dirigeants du royaume pour les obliger à s’ouvrir et procéder à des réformes structurelles qui rendraient le régime moins rigide et, d’autre part, la proclamation du califat islamique en Irak et en Syrie par Abou Bakr al-Baghdadi terrifie les dirigeants du royaume parce qu’elle remet en cause leur propre légitimité. En déclarant ouvertement qu’il s’inspire de l’idéologie wahhabite, Abou Bakr al-Baghdadi, alias le calife Ibrahim, marche en quelque sorte sur les plates-bandes de la famille régnante et pourrait s’il prenait de l’ampleur la marginaliser et même prendre sa place, ayant la légitimité de son islam intolérant et ayant même proclamé le califat, qui reste l’objectif ultime de cette branche obscure de l’islam.
Le roi Abdallah est donc aujourd’hui tiraillé entre deux tendances : celle de la nécessité de moderniser le royaume et celle de ne pas se laisser déborder sur son propre terrain par l’État islamique qui jouit d’une large influence en Arabie puisque la plupart des mosquées et des écoles religieuses s’inspirent de l’école wahhabite.
Ceux qui suivent la presse saoudienne constatent ce tiraillement et la lutte sourde qui se joue actuellement au royaume. Le roi Abdallah a ainsi donné ses instructions pour procéder à des réformes de l’éducation religieuse et ordonné l’arrestation de plusieurs dignitaires religieux qui avaient ouvertement déclaré leur appui à l’EI au cours de leurs prêches dans les mosquées. Mais il faut bien plus que cela pour éradiquer cette pensée qui s’est développée pendant des décennies. Hier encore, les autorités saoudiennes ont arrêt cheikh Mohammad Ourayfi, connu pour ses positions extrémistes, qui avait critiqué ouvertement le mufti d’Arabie et les autorités du pays. Les sept prisons du royaume seraient ainsi remplies d’islamistes saoudiens ou appartenant à d’autres nationalités. Et régulièrement, les autorités leur proposent de les relâcher à la condition qu’ils quittent le pays soit pour intégrer la force saoudienne dite le « Bouclier d’al-Jazira », déployée à Bahrein, soit pour aller rejoindre les rebelles en Syrie ou en Irak.
C’est dire que le problème takfiriste est aussi une menace pour le royaume qui est aujourd’hui pris au piège de ce fameux accord entre les autorités politiques et religieuses conclu au XVIIIe siècle et jamais remis en question depuis. Mais ce n’est pas parce qu’elle craint les takfiristes chez elle que l’Arabie saoudite a renoncé à voir en eux le moyen de combattre le régime syrien, les chiites d’Irak et surtout l’Iran. Les options confuses du royaume wahhabite compliquent encore plus la situation régionale et rejaillissent sur tous les pays, dont le Liban, sur lesquelles il a une certaine influence… C’est donc cette dualité que Hassan Nasrallah a voulu dénoncer en expliquant à son auditoire les origines de la pensée takfiriste.