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Lune de riyal

 

N’importe quel entrepreneur en bâtiment vous dira ce que vous savez sans doute déjà : la truelle est plus lente que le bulldozer, et il faut bien plus de temps, d’efforts et d’imagination pour reconstruire que pour raser à terre : plus de calme application, plus de minutie aussi. Fort opportunément, c’est bien la méthode qu’a choisie, pour replâtrer les relations libano-saoudites, un Michel Aoun méconnaissable de sérénité et de pragmatisme depuis qu’il a réalisé son rêve présidentiel.

Il faut dire que le chef de l’État (et avec lui son diplomate de gendre) nous le devait bien, même si, en posant le pied lundi sur le sol saoudite, il a attribué à de regrettables malentendus la dégradation de ces rapports. Car elle était parfaitement audible, et même parfois tonitruante, l’expression de ces
pseudo-malentendus. Des années durant, Michel Aoun, candidat à la présidence et allié du Hezbollah pro-iranien, a copieusement fustigé l’Arabie saoudite, se laissant même aller parfois à des prises de position pour le moins inamicales envers les sunnites. Mais c’est surtout le ministre des AE qui portait l’irritation des Saoudiens à son comble en affichant une indulgence de mauvais aloi pour l’Iran au cours de deux conférences panarabes. En guise de représailles, le royaume décidait, comme on sait, le gel d’un don de trois milliards de dollars à l’armée, et on se mettait même à trembler sur le sort des centaines de milliers d’expatriés libanais travaillant dans les royaumes du Golfe.

Toujours est-il qu’en passant outre aux objections syriennes et aux réticences du Hezbollah pour réserver à l’Arabie la primeur de ses voyages présidentiels, le président Aoun a bel et bien montré où se situaient, pour le Liban, les priorités du moment. Il s’agit de bien davantage en effet que de ce lot d’équipement militaire de fabrication française dont notre armée a grandement besoin, comme le montrent le nombre et la variété des dossiers discutés. C’est essentiellement d’Arabie et des autres pays pétroliers que proviennent ces rapatriements réguliers de fonds qui alimentent l’économie libanaise, et avec eux les investissements d’étrangers. C’est là que nous exportons le gros de notre production agricole, et ce sont encore de ces régions désertiques qu’accourent, normalement, les touristes. Normalement, tout est là : normalement, c’est-à-dire quand ces visiteurs ne sont pas publiquement menacés d’agression, quand leurs monarques ne sont pas abreuvés d’injures par des partis associés au pouvoir libanais…

Rien n’est jamais absolument gratuit dans les relations internationales. Passé les accords de principe conclus durant la visite à Riyad, voilà pourquoi il va falloir offrir certaines assurances à ces Saoudiens qui s’effarent de l’emprise croissante de la milice sur les affaires de l’État libanais : cela sans provoquer un Iran fort capable de perturber, au plan sécuritaire notamment, la salutaire démarche du régime.

La bourse ou la vie : tel est le dilemme que se doit de contourner notre pays. D’autant plus ironique est d’ailleurs la situation que si l’on exclut leurs sympathies partisanes ou communautaires engendrées par le bras de fer irano-saoudite, les Libanais, dans leur écrasante majorité, ne sauraient se reconnaître dans les modèles de société qu’affichent l’un et l’autre de ces rivaux.

Ils ne sont pas les seuls d’ailleurs. L’eldorado des damnés de la terre, des Arabes ou musulmans fuyant la sanguinaire folie de leurs gouvernants, c’est l’Europe. Ce n’est pas le paradis des mollahs ; ce n’est pas davantage l’oasis des wahhabites.

Issa GORAIEB