L’édit
La démocratie. C’est une technique qui nous garantit de ne pas être mieux gouvernés que nous le méritons. George Bernard Shaw restera toujours un maître de l’épure, un archer de génie.
La démocratie. S’il est une chose que les femmes et les hommes retiendront de cette (somme toute particulièrement) funeste 2016, c’est bien cela : une démocratie sinon au bout du rouleau (conceptuel), du moins devenue matériau profondément xénomorphe et métamorphe, en perpétuelle mutation.
La démocratie. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire, loin de là, que ce protoconcept, au cœur de toute vie, de toute évolution et de toute création possibles, change de forme, touche ses limites ou, c’est selon, se dévoie. Mais l’année écoulée a été étonnamment généreuse. Ne serait-ce que dans l’hinterland anglo-saxon, entre Brexit (et contre-Brexit, notamment écossais) au Royaume-Uni et Donald Trump (et contre-trumpisme tous azimuts, au sein même du Parti républicain) aux États-Unis. Mais aussi en Turquie, où l’hypererdoganisme n’en finit plus de dynamiter, acquis après acquis, lentement, sûrement, l’héritage d’Atatürk. Mais aussi en France, ex-fille aînée de l’Église devenue temple quasi-bunker de la laïcité, où ressuscitent, logiquement, un confessionnalisme et des revendications identitaires drôlement (dangereusement ?) libanoïsants. Mais aussi au Liban, où ce consensuel réussit toujours à s’en sortir, bon gré mal gré, se moquant royalement des paradoxes, des dissonances et du ridicule. Et le reste est à l’avenant.
La démocratie. C’est, en principe, le régime politique dans lequel le pouvoir est détenu ou contrôlé par le peuple, sans qu’il y ait de distinctions dues à la naissance, la richesse ou la compétence. Soit. Il y a juste un petit problème : il n’y a plus, au sein des États ou des nations, un peuple, mais des peuples – qui, au lieu de revendiquer, de voter pour (quelque chose, quelqu’un), ne veulent plus de (quelque chose, quelques-uns…). Georges Naccache a été un sacré visionnaire. Il faut dire que l’évolution du monde, sa constante mutation, l’ont grandement aidé.
La démocratie. Elle a ceci de monstrueux, dans son ADN, qu’elle est et se sait irremplaçable. Qu’on ne peut ni ne veut la remplacer : le tyran/monarque éclairé est une denrée définitivement périmée, et la planète pullule désormais d’apprentis tsars, gardiens de lieux saints, Jeanne d’Arc, ayatollahs et califes, autoproclamés soient-ils ou démocratiquement élus. Restent donc ces peuples. Et face à eux, souvent, très souvent, ces bataillons de démagogues armés jusqu’aux os de démocraties, archaïques ou 2.0.
La démocratie. C’est aussi le nom donné au peuple toutes les fois que nous avons besoin de lui. Il faut dire que jusque-là, et encore davantage en 2016, démocratie(s) à l’appui, extrémismes et fondamentalismes en tout genre à l’appui, ces peuples, dans leur majorité, s’efforçaient de (sur)vivre dans un Mad Max – Fury Road grandeur nature. C’est-à-dire dans un monde (post-)apocalyptique où les dictatures se travestissent en bonnes sœurs du Perpétuel Secours ; où les jihadismes et les extrêmes droites murmurent à l’oreille des adolescents ; où les flux migratoires dé-mathématisent tout ; où la non-acceptation de l’autre devient règle d’or ; où l’injustice sociale rend aveugle et sourd; où les mentalités se sclérosent et où toutes les nuances du noir ont triomphé. Charles Baudelaire disait que le noir, c’est justement l’uniforme de la démocratie.
La démocratie. C’est sans doute le mal, la blessure, mais c’est surtout le baume, le remède. Et en 2017 plus que jamais, ses valeurs universelles, que L’Orient-Le Jour défend inlassablement depuis 93 ans dans un Moyen-Orient affreusement laboratoire et épitomé de cette Fury Road, sont les seules à même de panser les plaies béantes du monde. À condition que nous, peuples d’ailleurs, mais surtout d’ici, le voulions.