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Mare sinistrum

Le temps n’est plus où les agences de voyages rivalisaient de clichés pour faire miroiter aux yeux des vacanciers les charmes uniques de la Méditerranée. Désormais, ce sont en effet les croisières de la mort qui tiennent l’affiche, avec chaque jour un nombre croissant de noyés : tragique terminus pour ces misérables desperados entassés fuyant leurs enfers nationaux pour l’eldorado européen, et que de criminels trafiquants entassent à ras bord, quand ce n’est pas à fond de cale, sur des rafiots tout juste bons pour la casse.
Huit cents morts d’une seule fois le week-end dernier, c’est du jamais-vu dans l’escalade de l’horreur, et c’est pour tenter de mettre enfin un plan d’action cohérent que se tiendra demain un sommet européen extraordinaire. Les options sont nombreuses, mais aucune n’est susceptible, à elle seule, de régler la question. La manière forte, pratiquée et même préconisée par l’Australie, qui refoule impitoyablement, en mer, les indésirables, lesquels sont abandonnés à leur sort même en situation de détresse ? Inhumaine et même contraire à la Charte de l’Onu, s’indigne-t-on. Relancer le plan Triton, décevant successeur du plan Mare Nostrum mis sur pied par l’Italie en 2013 ? Simple procédure d’urgence arrêtée lundi par les ministres des AE et de l’Intérieur de l’Union européenne et qui, des marins en patrouille fait de simples secouristes, plutôt que de vigilants gardiens des eaux territoriales. Des frappes aériennes ou des raids de commandos ciblant les passeurs, dont la plupart opèrent à partir de la Libye ? Regardez ce qui se passe en Irak et en Syrie, ironisent les sceptiques. Les grands moyens alors, qui consisteraient à pacifier et stabiliser cette Libye débarrassée du monstre Kadhafi, tout comme le fut l’Irak du monstre Saddam Hussein, mais où s’affrontent deux régimes rivaux, ce qui fait l’affaire du troisième larron, l’État islamique ? Que l’on regarde une nouvelle fois du côté du Levant, où la Coalition internationale a un mal fou à mettre sur pied (c’est bien le cas de le dire) une force terrestre : no boots, les Américains ne sont pas les seuls à s’en tenir à ce slogan de prudence, comme on peut l’observer aussi au Yémen.
Comment concilier, dès lors, compassion humaine et sécurité nationale ? En attendant qu’ait été trouvée la formule magique, il faut bien constater que si notre bonne vieille Méditerranée est en voie d’être classée zone sinistrée, plus d’une de ses rives mérite d’ores et déjà ce sinistre label. Comme si cet immense cimetière marin n’était pas encore assez, c’est à partir du sol que, depuis des années, les idylliques flots bleus se teintent de rouge sang, au gré des massacres commis par des dictatures ou des hordes jihadistes.
À tout seigneur tout déshonneur : lundi soir, la télévision publique française causait une certaine émotion en diffusant une interview du président de Syrie Bachar el-Assad, la première du genre depuis la rupture entre les deux pays. C’était là, ont pesté les mécontents, offrir gratuitement une tribune internationale au tyran : qui, d’ailleurs, a paru se vanter de la persistance de contacts entre les services de renseignements français et syrien. Pas si vite cependant : au journaliste vedette de France 2, David Pujadas, on reconnaîtra, au contraire, d’avoir posé à son interlocuteur les plus directes, les plus vachardes des questions. De l’avoir fait sans nulle complaisance. D’avoir enfin offert aux téléspectateurs le sidérant spectacle d’un homme coupé de la réalité ; d’un président niant l’évidence, invoquant l’indéfectible soutien de ce même peuple qu’il extermine avec acharnement, voulant faire accroire que s’il a bien appelé le Hezbollah à la rescousse, il n’a pas lancé de carton d’invitation aux patrons iraniens du Hezbollah.
Pas si mal, tout compte fait !