L’édito
Les réseaux sociaux sont imparables. Quelques minutes à peine après la folle image des deux società onorata (dé)coupant au cœur du Kesrouan le gâteau aux couleurs libanaises, deux ou trois (gros) malins twittaient quelque chose de très smart qui ressemblait à : à peine Donald Trump demande l’unité des chrétiens que Samir Geagea et Michel Aoun se serrent la main. Au même moment, l’immense majorité s’étouffait de colères diverses et variées, mais qui avaient toutes un plus petit dénominateur commun solide comme de l’airain : la sincérité.
Elle n’avait pas tort, la majorité.
Sauf que le plus choquant, ou stupéfiant, ou horripilant, ou hilarant, c’est selon, n’était pas le magic circus en tant que tel : finalement, des mariages de carpes et de lapins, il y en a souvent treize à la douzaine, tactiques, stratégies périmées, (dé)raisons ou pragmatisme obligent. Ce n’était pas non plus l’immoralité (pas l’amoralité : personne n’en est digne) du geste, ni ce dédain infini, ni cette gifle monumentale assénée avec des sourires béats et une facilité déconcertante à l’intelligence des Libanais en général, celle des chrétiens d’entre eux en particulier – celle, surtout, des familles et des proches des centaines et des centaines de morts de 1988 à 1990. Le plus choquant/stupéfiant/horripilant/hilarant n’était pas la nouvelle autovassalisation spontanée de Michel Aoun : après le document de Mar Mikhaël avec le Hezbollah en 2006, le pacte de Meerab en 2016 (attendons 2026…), énième expression pathétique d’une mono-obsession hallucinée et hallucinante. Ce n’était pas, tout autant, le choc du premier (vrai) faux pas de Samir Geagea depuis son désembastillement, lui qui avait su amorcer, mieux que quiconque, la longue et dure et épuisante et belle mue qui transforme un ex-patron de milice – personne n’est exempt de rédemption – en homme d’État, sans passer par la case apprenti sorcier, entre un Gargamel mal inspiré et un joueur de poker cosmogonique. Le plus choquant/stupéfiant/horripilant/hilarant n’était pas non plus, enfin, la réaction à l’onde de choc, sur le court terme, d’un landernau politique résolument sclérosé : finalement, rafraîchissant était le désarroi du Hezbollah, rassurante l’intelligence de Walid Joumblatt et bienvenu le pragmatisme de Samy Gemayel, même si la catatonie de Saad Hariri reste inacceptable.
Non.
Le vrai crime, politique, du pacte de Meerab, c’est la résurrection de cette ultrabunkérisation confessionnelle, sectaire même, nostalgie putride et métastasée de ces décennies de plomb qui ont dû attendre un 11-Septembre libanais, le 14 mars 2005, et l’assassinat de Rafic Hariri, pour être – c’est ce que les Libanais ont cru – dynamitées de l’intérieur, pour accoucher d’une somptueuse matrice, transversale, transcommunautaire et transrégionale. Le christiano-centrisme opportuniste et hypocrite du pacte de Meerab est une régression folle, réactionnaire, négationniste presque, d’une polarisation 14-8 qui a évidemment montré ses limites, mais qui reste bien plus saine que tout ce que ce Liban génétiquement bipolaire a connu, à l’autre, de nouveau islamo-chrétienne, et qui rappelle les pires années d’un pays historiquement maudit et que ses fossoyeurs attendent au tournant avec, et ce n’est pas le pire des maux prévus, une Constituante mégavirus. Cerise sur le gâteau : cette troisième polarisation imposée aux Libanais, sommés de choisir entre un bonnet blanc (orange) et un blanc bonnet (pistache), est une hérésie. Et un scandale – dans le vrai sens du terme. Comme si n’existaient pas des Riad Salamé, des Henri Hélou, des Salah Honein, des Robert Ghanem ou des Alain Bifani…
Que quelqu’un, par amour ou par pitié pour ce Liban, ressuscite ou clone Raymond Eddé.