L’édito
Nul ne se faisait plus d’illusions. La politique syrienne du président Barack Obama a porté un coup sévère à la crédibilité de l’administration en place à Washington. Les derniers propos du secrétaire d’État John Kerry, qui a souligné le week-end dernier que Bachar el-Assad devait partir mais que « le calendrier de ce départ est négociable », sont venus confirmer une amère réalité : le comportement des dirigeants US à l’égard du drame qui a forcé à l’exode près de la moitié de la population syrienne fluctue entre la non-assistance à peuple en danger et l’incitation, par ricochet, au massacre.
Cette ligne de conduite – aux antipodes des valeurs prônées depuis des décennies par le monde occidental – a été illustrée de manière surréaliste par l’attitude du chef de la Maison-Blanche lorsqu’en septembre 2013, il a fait marche arrière au sujet des « lignes rouges » qu’il avait lui-même définies à propos de l’utilisation d’armes chimiques par Bachar el-Assad. Lorsque le recours à cet arsenal chimique dans la Ghouta de Damas a été confirmé, faisant des centaines de morts parmi la population civile, le président Obama s’est contenté d’ôter simplement l’arme du crime des mains du criminel au lieu de sévir contre ce dernier. Le meurtrier était, de ce fait, laissé en toute liberté dans la nature, ce qui lui permettait de poursuivre, fort de l’impunité que l’on venait de lui accorder, son action maléfique, mais en changeant d’arme !
Dans le but sans doute de choyer son futur partenaire iranien, ou tout au moins afin de ne pas le contrarier durant la phase des négociations sur le dossier du nucléaire, le président Obama accordait pratiquement carte blanche à Bachar el-Assad dans sa guerre interne. Et dans le même temps, il faisait obstruction à la livraison d’armes performantes et, surtout, de missiles antiaériens à l’opposition modérée.
Les derniers propos de John Kerry ont pour effet dans ce cadre de donner une nouvelle bouffée d’oxygène au régime syrien, tout en occultant, une fois de plus, un fait indéniable : c’est Bachar el-Assad qui est à l’origine de l’émergence et du renforcement des courants jihadistes, dont tous les cadres et responsables ont été libérés des prisons baassistes quelques semaines après le déclenchement du soulèvement syrien, au printemps 2011. Et pour cause : dans un conflit avec une opposition modérée, libérale et pluraliste, Bachar el-Assad ne pouvait être que perdant ; d’où la nécessité de « choisir » un ennemi radical, jihadiste et terroriste afin d’imposer au monde l’équation « C’est moi ou les jihadistes », suivant le principe du pyromane pompier.
L’administration Obama affirme vouloir lutter contre le terrorisme. Mais au lieu de s’attaquer à la source du mal, en l’occurrence le régime Assad qui laisse faire, dans une large mesure, les jihadistes, le chef de la Maison-Blanche a fait le choix de maintenir en place le président Assad. Or, une telle stratégie a pour effet de susciter un profond ressentiment parmi les opposants et la population en Syrie, ce qui renforce d’autant les courants radicaux et le terrorisme que Washington affirme pourtant vouloir combattre.
C’est ce même message paradoxal qui est perceptible dans le cas du Hezbollah et des mollahs iraniens qui tirent désormais leur raison d’être et leur légitimité de la présence de ceux qu’ils appellent « les takfiristes » du fait que les extrémismes antagonistes se renforcent, objectivement, l’un l’autre. L’ancien Premier ministre irakien Nouri al-Maliki (l’homme de Téhéran en Irak) n’a-t-il pas été reconnu coupable récemment d’avoir directement facilité la montée en puissance de Daech en donnant l’ordre à l’armée irakienne de ne pas s’opposer à l’avancée des jihadistes sunnites à Mossoul ?
Dernier venu dans ce jeu diabolique, le président Vladimir Poutine, qui dissimule mal sa volonté de se forger une place au soleil sur l’échiquier du Moyen-Orient en brandissant comme prétexte de son intervention militaire en Syrie le nécessaire combat contre le terrorisme. Il feint dans ce cadre d’ignorer que c’est son soutien à Assad qui va accroître, par réaction, la mobilisation et la combativité des courants jihadistes, non seulement dans la région, mais aussi, tôt ou tard, dans le Caucase.