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Minet Dalieh, site (pré)historique unique du genre en Méditerranée orientale

Le projet touristique prévu à l’emplacement du port de Dahlieh, à Raouché, menace de faire disparaître un site préhistorique considéré comme unique sur la côte nord du Levant : un atelier datant du paléolithique supérieur qui a livré des milliers d’outils taillés dans du silex il y a presque un million d’années.

May MAKAREM

Il ne s’agit pas seulement d’un front de mer à sauvegarder, ni d’une portion de plage publique à préserver, ni d’empêcher de barrer la perspective et gâcher la vue sur la Grotte aux pigeons, un des landmarks les plus beaux de Beyrouth. Il s’agit aussi et surtout d’éviter de faire tomber sous les assauts des machines de démolition un site ancien qui fait partie de l’histoire du Liban et du patrimoine mondial.
Le port de Dalieh est « un atelier in situ, c’est-à-dire dans sa position archéologique primaire, tel que les hommes du chalcolithique l’ont abandonné », souligne Corinne Yazbeck, archéologue préhistorienne, professeure à l’Université libanaise, chef de département d’art et d’archéologie, section II, Fanar. « Le promontoire de Ras Beyrouth offre une succession de plages fossiles (ou paléorivages) en relation étroite avec des installations humaines durant le quaternaire. Ce cas unique en Méditerranée orientale permet d’analyser l’interaction entre l’homme et son milieu naturel, en particulier l’occupation du territoire et l’exploitation des ressources naturelles telles que le silex », ajoute la spécialiste.
Elle signale qu’au début du XXe siècle, la plage de Minet Dalieh a été le terrain de recherches du père jésuite Raoul Desribes qui a découvert, à une profondeur d’un mètre sous le sédiment qui recouvrait la terrasse, toute une industrie lithique. L’étude publiée par Desribes en 1921 décrit le site comme étant « un atelier solutréen » en raison de la ressemblance typologique et stylistique des outils avec ceux développés par l’Homo sapiens en Europe occidentale, dont la production de la taille du silex était à son apogée. Et « en particulier la production des lames en forme de “feuilles de laurier” au bord finement crénelé, qui complètent la panoplie de grattoirs, burins ou lamelles plus classiques », note l’archéologue. Dans les années 1960, J. Cauvin a baptisé les outils « Triangles bifaces de Minet Dalieh » alors que Desribes les avait désignés sous le nom de « Stylets de Minet Dalieh ». Plus tard, en 1993, les archéologues R. Neuville et J. Haller ont à nouveau analysé le matériel et ont confirmé leur appartenance au chalcolithique.
« Minet Dalieh représente un intérêt particulier puisque c’est le seul atelier de ce genre qui a été trouvé sur la côte nord du Levant. Des milliers de pièces témoignant des différentes étapes de fabrication de ce type d’outil ont été taillées dans le silex local du cénomanien », souligne encore Corinne Yazbeck.

La préhistoire ensevelie sous le béton
Avant son urbanisation sauvage, la région de Ras Beyrouth représentait un trésor scientifique. « Caractérisée par sa géologie si particulière où se superposent des formations carbonatées à lits de silex couleur chocolat de haute qualité, elle offrait une opportunité rare, celle d’analyser l’évolution de l’interaction de l’homme avec son milieu naturel sur le même territoire depuis un million d’années. Car sa richesse en matières premières minérales ainsi que sa position topographique et la présence de sources d’eau douce ont attiré les groupes humains depuis la préhistoire », relève Corinne Yazbeck. Aussi, plusieurs chercheurs, dont les pères jésuites Henri Fleisch, Auguste Bergy et L. Dubertert, ainsi que des noms illustres en préhistoire proche-orientale, tels que Dorothy Garrod et R. Neuville, ont entrepris des travaux de terrain dans cette région, essentiellement de « collecte contrôlée » et non pas de fouilles strictu sensu.
La spécialiste indique également qu’au cours des années 1960, P. Sanlaville, géomorphologue, a collaboré avec le préhistorien Henri Fleisch pour établir « une chronologie relative basée sur les différents paléorivages, uniques sur la côte levantine ». Plus tard, L. Copeland et P. Wescombe, dans leur inventaire de référence Inventory of Stone Age Sites, ont publié les 14 sites préhistoriques de Ras Beyrouth et les ont numérotés par ordre en chiffres romains. Ces sites, dont la grande majorité a été détruite, représentaient toutes les périodes de la préhistoire, depuis l’achéeuléen (1 million à 250 mille BP) jusqu’au chalcolithique (ou IVe millénaire) en passant par le moustérien (250 mille à 50 mille BP). Ils longeaient le littoral depuis Bir Hassan jusqu’au campus de l’Université américaine, en passant par Jnah, la corniche de Raouché, le Bain militaire, l’ancien phare de Beyrouth et le College international (IC). Il ne reste plus aujourd’hui que le port de Dalieh, à Raouché. Va-t-on assister à un nouveau massacre du patrimoine ?