L’ÉDITORIAL
| OLJ
On voit bien grand, ces derniers temps, mais tout n’est pas aussi rose ou joliment bleuté que cette gigantesque lune que l’humanité émerveillée a pu contempler dans la soirée de lundi. Dans un registre moins poétique, c’est à une parade militaire d’une envergure sans précédent, elle aussi, que s’était livré, durant le week-end, le Hezbollah, dans la localité syrienne de Qousseir, proche de nos frontières. Pour commémorer de la sorte la Journée du martyr, la milice avait choisi un site hautement symbolique : c’est sur ces lieux qu’elle avait remporté, pour la première fois et au prix de lourdes pertes, une victoire significative contre les rebelles islamistes.
Maintes autres premières ont marqué ce défilé, comme si l’objet principal en était de lancer toute une brassée de messages ayant clairement valeur d’avertissement. Les parades locales du Hezbollah ne se comptent plus, mais jamais à ce jour le Hezbollah n’avait solennellement fait étalage de sa force hors du territoire libanais. Sous ses deux casquettes, l’une libanaise et l’autre iranienne, le Hezbollah entendait bétonner – et même blinder ! – son singulier statut de force armée supranationale : particularité amplement démontrée déjà au fil de ses équipées militaires en Syrie, en Irak, au Yémen et dans des théâtres d’opérations plus reculés encore.
C’est la première fois enfin que le Hezbollah donne à voir un tel déploiement d’armement lourd : notamment des chars lourds de fabrication russe, probablement livrés par le tuteur iranien, mais aussi des transports de troupes blindés M113 made in USA dont la provenance a aussitôt donné lieu aux spéculations les plus hardies. Pour les uns en effet, il s’agirait là de prises de guerre arrachées aux combattants d’al-Nosra qui en auraient eux-mêmes dessaisi l’armée libanaise lors des affrontements de Ersal, au cours desquels furent capturés plus de deux douzaines de soldats. D’autres, en revanche, vont jusqu’à prétendre que le Hezbollah aurait trouvé plus simple de se servir directement à la source. Ces allégations ont vite porté l’institution militaire à démentir catégoriquement que ces blindés aient jamais fait partie de son arsenal. L’émotion n’est pas moins vive aux États-Unis, qui équipent les forces régulières libanaises sans rien ignorer pourtant de la coopération non déclarée entre celles-ci et une organisation que Washington tient pour terroriste…
Toujours est-il qu’à en croire les orateurs du parti, c’est à Israël que s’adressent, en priorité, tous ces messages : Israël qui, pourtant, jouit d’un calme total, d’une paix véritablement royale, en regardant s’étriper consciencieusement ses voisins. Il est difficile toutefois de ne pas voir dans cette démonstration de force un fort inopportun rappel en mémoire destiné à ceux des Libanais qui, rassérénés par la toute récente élection d’un nouveau président de la République (lui-même un militaire de carrière), croient déjà instaurée l’ère d’une autorité étatique libanaise ne souffrant plus désormais de partage. Par son timing comme par son ampleur, la parade de Qousseir fait déjà de l’ombre au défilé militaire prévu pour la fête de l’Indépendance, qui sera célébrée dans quelques jours. Bien qu’assénée de derrière la frontière, elle constitue une cinglante fin de non-recevoir opposée à l’engagement présidentiel quant à une neutralité du Liban dans le conflit de Syrie.
En définitive, il faut croire le Hezbollah quand il affirme n’avoir cure des ministères qui lui seront attribués dans le gouvernement que s’efforce actuellement de former Saad Hariri : il a bien plus solide, plus payant, autrement plus convaincant, ailleurs.
Issa GORAIEB