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Nécessité de vie

Terre de contrastes, disait-on naguère de notre pays pour en vanter, à l’adresse des touristes, la variété des attraits naturels, faits de mer et de montagne. Depuis, les touristes se sont faits rares mais les contrastes demeurent. Et ils n’ont plus grand-chose de séduisant.

On en a eu la triste illustration jeudi. Dans le centre-ville de la capitale était laborieusement amorcé un semblant de début de normalisation de la vie publique, avec la session marathonienne d’un Parlement qui ne s’était pas réuni depuis près d’un an et demi ; au même moment, un double attentat terroriste à la bombe se soldait par une véritable hécatombe à Bourj Brajneh, un quartier extrêmement populeux de la banlieue sud.

Par-delà les clivages entre Libanais, indéniablement sincère est l’émoi général suscité par cet acte de barbarie, et non seulement parce que Bourj Brajneh est un des rares secteurs de la périphérie à abriter une population des plus hétérogènes, chiites, sunnites et chrétiens y vivant en relative harmonie. Si l’effroi n’épargne personne, c’est parce que le terrorisme opère un come-back particulièrement meurtrier, dans un pays qui a déjà eu plus que sa dose de malheurs. C’est aussi parce que bien davantage que les véhicules piégés, autos ou motos, il est pratiquement impossible de repérer et d’intercepter à temps ces illuminés bardés d’explosifs glissés dans la foule et allant, à pied, au suicide : des fous criminels capables, en définitive, de frapper où bon leur semblerait, et non plus seulement leur cible de prédilection, cette Dahié qui est le fief de leur ennemi juré.

Pour authentique cependant que soit cette communion des Libanais dans la dénonciation de l’horreur, elle ne pourra probablement pas occulter longtemps le débat, déjà vieux, sur l’origine exacte de ce cercle éminemment vicieux dans lequel se débattent le Hezbollah et Daech. Qui a pris les devants dans une confrontation qui engage – et met en grand péril – la totalité du pays ? Si la réponse est évidente, la discussion n’est pas près d’être close hélas, alimentée qu’elle est par les persistants désaccords et pas mal de mauvaise foi.

Côté jardin, et à l’unique exception du parti Kataëb qui a crié son mécontentement dans la rue, la classe politique s’est engouffrée comme un seul homme dans le vote de ces lois de nécessité, ainsi désignées au motif que nécessité fait loi : quitte évidemment à faire un pied de nez à une légalité constitutionnelle qui n’en est pas, il est vrai, à sa première violation. Absolument clairs en effet sont les articles de la Constitution, stipulant qu’en cas de vacance présidentielle (situation inconcevable, qui fait fi de la première des nécessités étatiques), l’Assemblée ne peut se réunir qu’en collège électoral et nullement en tant qu’organe législatif.

Cette réunion parlementaire aura néanmoins permis le vote de diverses lois économiques et financières qui permettront au pays de bénéficier de prêts internationaux, comme de rénumérer ses fonctionnaires. Également bienvenue est la possibilité, offerte aux descendants d’émigrés qui le souhaitent, de recouvrer la citoyenneté libanaise : réalisation que l’on doit à l’inlassable lobbying de la Fondation des maronites dans le monde et à l’opiniâtreté de son fondateur et animateur, l’ancien ministre Michel Eddé, pour qui toutes les communautés libanaises tireront avantage de ces nouvelles dispositions.

Passablement embrumé est, en revanche, le renvoi à plus tard l’examen de la nouvelle loi électorale. Il en est de même, d’ailleurs, de l’appel lancé par Hassan Nasrallah en vue d’une négociation sur tous les dossiers litigieux. N’est-ce pas précisément sur une telle solution globale que planchent, depuis des années, les participants au stérile dialogue national ? Et de quelle loi électorale parle-t-on donc quand le jeu démocratique n’est pratiqué qu’au gré des intérêts, quand on se refuse, comme en 2008, à reconnaître comme telle une majorité issue d’élections libres ?

Bons ou perfectibles, que l’on commence par respecter la lettre et l’esprit des textes. Ce serait tellement plus simple. Et combien plus honnête !