Le général Qassem Souleimani, qui tente actuellement de recouvrer la splendeur de Darius III en restaurant l’unité et le prestige historique de l’Empire perse sur les corps des citadins et les ruines des cités arabes, serait donc « l’homme de l’année » en Iran, selon un récent sondage… Le vaillant général ne lutte-t-il pas en effet contre l’hydre terroriste sunnite pour défendre les pauvres minorités persécutées, comme le laisse entendre la propagande chargée de justifier l’intervention militaire iranienne sur tous les fronts ? Gageons, en tout cas, que les cadres estudiantins iraniens de la « révolution verte » ne figuraient pas dans l’échantillon consulté…
Tout anecdotique qu’il soit, ce sondage coïncide ironiquement avec le 4e anniversaire de la révolution syrienne. Quatre ans plus tard, l’intifada contre le régime Assad est plus que jamais orpheline. Jamais volonté de liberté n’aura été traitée avec autant de dédain, surtout par ceux qui se sont affublés du titre des « amis de la Syrie ». Certains ont même poussé leur toupet, mâtiné de négationnisme et de colonialisme, jusqu’à prétendre que le « peuple syrien » n’était qu’une « invention de l’Occident », rien moins qu’un « mythe » !
Einstein avait raison, la sottise humaine n’a pas de limites.
À l’exception de la France, et de quelques esprits universels et libres, les « amis de la Syrie » se sont contentés de belles paroles, laissant le régime assiéger son propre peuple. Ces « amis » ne se sont pas mobilisés pour soutenir la dynamique civile, plurielle, transcommunautaire et pacifique des jeunes révolutionnaires durant les six premiers mois du mouvement, donnant ainsi à Assad tout le temps d’exploiter les vieilles fractures confessionnelles et ethniques au sein de la société syrienne pour disloquer les rangs des opposants.
Ces « amis » n’ont pas fait grand-chose non plus pour empêcher le régime de monter progressivement dans son usage de la violence contre des manifestants sans armes, au nom de la lutte contre des « terroristes » – imaginaires à l’époque –, à part se contenter de tracer, comme Obama, des « lignes rouges » virtuelles à n’en plus finir.
Assad pouvait également compter sur une bonne vieille recette paternelle pour endormir l’opinion publique internationale en procédant à une escalade mesurée, graduelle, « propre », de la violence, avec un nombre limité de victimes « visibles » par jour, pour ne pas trop brusquer un Occident sensible aux grands massacres…
Pas suffisamment émus par le carnage à l’arme chimique de Ghouta et les rapports des ONG humanitaires, les « amis de la Syrie » ont, en revanche, littéralement défailli face à l’émergence d’un extrémisme sunnite infiniment hideux… occultant le fait que c’est le régime lui-même qui a ouvert, à travers sa répression brutale, la boîte de pandore… et les portes de ses prisons. Résultat : dans un climat de barbarie et d’impunité, le mal s’est propagé et menace désormais le monde.
Profitant de l’apathie des « amis de la Syrie », le régime pouvait, lui, compter en revanche, en sus des brigades perses et du veto onusien du Kremlin, sur le soutien d’une internationale d’extrême droite sunnitophobe pour colporter, avec la bénédiction de nombre de prélats des Églises orientales, l’image d’un Assad lord protecteur des minorités. Il pouvait également s’enorgueillir de l’appui des réseaux d’extrême gauche altermondialistes, conquis par la pseudo-vigueur de ce régime « laïc ».
Face à ce sinistre tableau, il faut être d’une naïveté déconcertante ou d’une sournoiserie florentine pour continuer à opposer Daech à l’axe Damas-Téhéran, alors que la collusion objective entre ces deux pôles saute aux yeux. Au sein de cette spirale infernale qu’est la montée aux extrêmes, un monstre justifie l’autre…
Sommer aujourd’hui le peuple syrien de choisir entre la peste et le choléra, entre le marteau du régime et l’enclume de Daech et consorts – comme l’a fait hier John Kerry en soulignant la nécessité de pousser le régime « à discuter » –, c’est lui donner le coup de grâce. À moins qu’il ne s’agisse effectivement de livrer la Syrie, et avec elle toute la région, à l’Empire iranien, dans un contexte de deal sur le nucléaire.
Sinon, combien de femmes et d’enfants faudra-t-il encore laisser mourir avant qu’à Washington ou ailleurs, l’on comprenne enfin qu’Assad n’est pas une pièce maîtresse d’une éventuelle solution à la crise, mais le cœur pervers, malade, et moribond, du problème ?