Après l’intermède d’euphorie relative suscitée dans certains milieux par l’annonce par le Premier ministre Saad Hariri que son groupe parlementaire manquera à l’appel du 15 mai prochain – date butoir prévue pour la troisième prorogation du mandat des députés – si une nouvelle loi n’est pas trouvée entre-temps, place au réalisme pur et dur.
Le défaut de quorum escompté lors de la séance parlementaire marquant la fin de la législature en cours laisse croire pour l’heure, que le « spectre » de la prorogation a disparu une fois pour toutes, laissant ainsi la place à deux options: l’émergence d’une nouvelle loi, sinon le retour à l’option, bien plus impopulaire, de la loi de 1960.
Si certains continuent de miser sur la récente démarche du chef du gouvernement qualifiée de « revirement majeur » dans les négociations autour de la loi électorale, d’autres se veulent plus sceptiques quant aux chances de voir pointer à l’horizon la solution que les protagonistes déclarent souhaiter à l’unanimité, à savoir l’adoption d’un nouveau code électoral.
Selon un responsable des Forces libanaises (FL), la position de M. Hariri a renversé les équations, mais pour réorienter le jeu politique dans une direction plus « constructive », mettant ainsi les différentes forces politiques devant le fait accompli.
La nouvelle dynamique enclenchée depuis a coïncidé avec le lancement, par le président de la Chambre Nabih Berry, d’un nouveau package-deal: la création d’un Sénat en concomitance avec la proposition de loi promue, il y a quelques jours, par le chef du législatif (la proportionnelle appliquée à six ou dix circonscriptions). L’idée, qui a fait l’objet des réunions marathon au cours des dernières 24 heures, aurait en tout cas séduit les FL qui y voient une issue acceptable à leur revendication d’une parité effective où les chrétiens auraient le plus d’influence possible en matière d’élection de leurs représentants.
Grâce à la création d’un Sénat qui représenterait les familles communautaires élues sur le mode confessionnel, le camp chrétien obtiendrait ainsi gain de cause et serait prêt en contrepartie à lâcher du lest au niveau de la loi électorale en acceptant un texte prévoyant la proportionnelle. À condition de négocier toutefois le nombre de circonscriptions, la requête des FL étant de 13 au lieu de six ou dix comme proposé. C’est dans cette direction que le Premier ministre s’active en ce moment, espérant parvenir à décrocher ne serait-ce qu’un accord de principe auprès des parties au cours de ce long week-end pour pouvoir convoquer un Conseil des ministres, qui a suspendu ses réunions depuis deux semaines.
« Rien n’est impossible »
Selon les premières informations obtenues par L’Orient-Le Jour, le projet de M. Berry, tenu confidentiel pour l’instant, consisterait en un Sénat comprenant 64 membres (32 chrétiens et 32 musulmans). Sa présidence irait alternativement aux druzes puis aux chrétiens, et ses prérogatives inspirées de l’article 65 de la Constitution. Le Sénat serait en charge des questions intéressant directement les communautés, mais aussi de « sujets fondamentaux », tels que la décision de guerre ou de paix, la naturalisation ou encore l’état d’urgence. Mais c’est là où les choses se compliquent: comment, les protagonistes réussiront-ils à s’entendre, d’ici à quelques semaines, sur les grands principes gouvernant cette nouvelle institution, ainsi que sur ses fonctions qui risquent par ailleurs de concurrencer, voire d’annuler certaines prérogatives du Parlement, et se mettre en même temps d’accord sur une loi électorale qu’ils n’ont pas réussi à élaborer depuis huit ans ?
Selon un haut responsable de l’État qui a requis l’anonymat, l’idée de la création d’un Sénat n’est pas mauvaise en soi, puisqu’elle s’inscrit dans le cœur de Taëf, mais son timing est irréaliste, d’autant que les avis sont d’ores et déjà partagés sur sa nature même. Le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, a rappelé pour sa part que la Constitution a prévu la création de cette instance seulement après l’abolition du confessionnalisme politique.
« Rien n’est impossible », estime pour sa part un membre du bloc du Futur convaincu qu’une entente pourrait avoir lieu en quelques jours. Il reste que la création d’un Sénat nécessite un amendement de la Constitution suivi d’un vote au Parlement, ce qui est loin d’être réalisable si l’on ambitionne de le faire d’ici au 29 juin prochain, date à laquelle le pays sera confronté au vide.
D’aucuns estiment d’ailleurs qu’il s’agit d’une nouvelle technique de fuite en avant, une manière pour les parties de se donner bonne conscience avant d’en arriver à embrasser la seule option restante en recours ultime: la loi de 1960. À moins que l’appétence pour la prorogation ne revienne au goût du jour.
Devant le spectacle affligeant de la dégénérescence progressive des institutions, une petite lueur d’espoir est apparue hier du côté de l’Inspection centrale et de la Direction des adjudications, deux instances qui tentent de restituer ses lettres de noblesse à l’État de droit. L’adjudication publique lancée pour la gestion et l’exploitation des boutiques hors taxes de l’aéroport international de Beyrouth (AIB) pour quatre ans (lire en page 5) a été saluée par la direction de l’Inspection centrale pour « sa transparence » – fait relativement exceptionnel au Liban. Une occasion également pour mettre en application, pour la première fois depuis son adoption, la loi sur le droit à l’accès à l’information que l’Inspection centrale et la Direction des adjudications ont appliquée à la lettre.