IMLebanon

Obama Beach

Vingt souverains et chefs d’État sagement alignés pour évoquer, flamboyants discours à l’appui, l’opération militaire la plus gigantesque de tout le vingtième siècle : il y avait toute la solennité du monde, hier sur les plages de Normandie, pour le 70e anniversaire du débarquement allié. Il y avait aussi un extraordinaire chatoiement de couleurs, avec tous ces drapeaux flottant au vent, des couleurs que venait rehausser l’éclatant manteau vert de la reine Élisabeth d’Angleterre. Il y avait là, surtout, de l’émotion : à commencer, à tout seigneur tout honneur, par celle de ces vétérans presque centenaires, superbement droits comme un i ou affalés sur leurs chaises roulantes, revivant par mémoire, sur place, ce qui fut le jour le plus long de leur existence.

Ce n’est guère un monde en paix que gèrent, de nos jours, les lointains successeurs de ces hommes qui firent l’histoire en se liguant pour abattre le nazisme. Il faut reconnaître, à leur décharge, que ce n’est pas d’un monde en paix qu’ils ont hérité. Car la Seconde Guerre mondiale n’était pas sitôt terminée que lui succédait, pour les décennies à venir, une guerre froide opposant les principaux alliés de la veille et donnant lieu à une multitude de conflits – indiscutablement chauds, ceux-là ! – aux quatre coins de la planète. Et cela continue hélas.

La grandeur du moment aidant, les célébrations de Normandie ont certes produit un double et heureux dégel. Vladimir Poutine s’est brièvement entretenu en effet avec le président de l’Ukraine, et les deux hommes se sont même entendus sur une cessation des affrontements dans ce pays, initiative dont il faut espérer qu’elle sera suivie d’effet. De même, et pour la première fois depuis le début de la crise ukrainienne, le tsar russe a discuté avec le président américain Barack Obama, alors que les deux hommes paraissaient décidés à s’éviter comme la peste : la veille encore, désespérant de les réunir à la même table, François Hollande avait dû ainsi mettre les bouchées doubles, dînant avec l’un avant de souper avec l’autre…

Il reste tant à faire cependant, pour ces puissances rivales qui se sont arrogé le droit de régenter la planète. Comme l’a très bien dit le président des États-Unis, Omaha Beach fut, pour une Europe tombée sous le joug de Hitler, la tête de pont de la démocratie. Mais un peu partout en revanche, au Vietnam comme en Irak, en Afghanistan ou ailleurs, que de tête-à-queue ont connus, par la suite, les ambitieuses équipées guerrières. Que de monstres ont enfantés les hasardeuses aventures des puissances, mais aussi parfois leurs tortueux calculs, leurs coupables atermoiements. Le fascisme n’est pas mort avec Hitler ; des tyrans continuent de gazer leurs propres peuples et d’autres formes de barbarie sévissent en plus d’une région, se parant parfois du sceau de la religion.

Typique est ainsi le cas de la Syrie, concentré de tous ces maux résultant directement de la rivalité des puissances. Plutôt que d’user de son influence pour inciter Bachar el-Assad à entreprendre des réformes, la Russie de Poutine a scandaleusement cautionné ses outrances les plus effroyables. En mesurant à l’extrême son aide à l’Armée syrienne libre, l’administration Obama, quant à elle, n’a fait en réalité qu’installer les jihadistes aux postes de commande de l’opposition combattante.

Et maintenant, qui pourra un beau jour débarquer tout ce beau monde ?