Dans un monde où le degré zéro du et de la politique n’en finissent plus de vomir leurs miasmes à la gueule de ceux qui font ce monde : les peuples, les électeurs…, l’élégance n’est désormais plus qu’un concept archéologique ; une réalité, une valeur extraterrestres. Un homme, pourtant, l’a incarnée comme rarement, alors que rien n’était prévu pour l’aider : ni le millénaire qui l’a vu exercer ses fonctions, un millénaire de toutes les vulgarités et de toutes les laideurs, ni son pays d’origine, ces États-Unis de toutes les outrances. Cet homme s’appelle Barack Obama.
Comment a-t-il fait, huit années durant, pour être à la fois Abraham Lincoln et Jerry Lewis, Morgan Freeman et James Bond, John F. Kennedy et Léopold Sédar Senghor ; exsuder avec un naturel aussi confondant la grâce, la distinction, la moralité, la beauté, la sympathie, la classe et un charisme insensé, grâce auquel il a été adulé comme jamais, à cause duquel il a été haï comme jamais ? Comment a-t-il fait ? Son éducation ? Son ADN, cette négritude superbe qui l’a fait se battre plus que les autres – contre lui-même d’abord ? Sa très haute idée de son pays, de ses compatriotes, de son poste ? Son travail acharné ? Ce Nobel de la paix ridicule attribué à peine entré à la Maison-Blanche et qu’il savait, au fond de lui, immérité ? Ces larmes (par trop de fois) lâchées sans ostentation, quotient émotionnel qui le dérobotisait savamment ? Cette intelligence 4×4 flanquée d’une maestria oratoire hors pair ? L’irruption, puis le triomphe, du parangon idéal de la muflerie et de la trivialité : Donald Trump ?
Barack Obama s’en va. Et on aurait envie de ne retenir de lui que cette image, sûrement pas lisse, mais si jolie ; que cette rage à donner à tous les Américains les mêmes droits, les mêmes libertés, les mêmes devoirs ; que cette incarnation-résurrection, après les années Bush, de cette Amérique qu’on aime et qu’on adore aimer : apaisée, éclairée, cultivée, ouverte aux mondes et métissée. On voudrait. Mais cela est littéralement impossible.
Barack Obama a rigoureusement raté ce que le monde attend, idéalement, d’un président américain : être non pas son gendarme, mais son thermomètre, son régulateur, le garant de son équilibre, aussi relatif soit-il. En voulant grossièrement et ostentatoirement débushiser l’Amérique ; en décidant unilatéralement de décentrer le laboratoire de la planète, c’est-à-dire en zappant le Moyen-Orient de ses priorités ; en ratant lamentablement l’occasion en or, les printemps arabes, que l’histoire lui a offerte pour réparer cette erreur de jugement ; Barack Obama aura fait d’une pierre trois coups, directs ou indirects. Et fatals pour lui. Il aura ainsi grandement : accéléré la dégénérescence des relations arabo-musulmanes avec le reste du monde ; contribué à une exacerbation inédite de la communautarisation en Europe, conséquence d’un flux migratoire inouï ; facilité l’implant dans l’inconscient collectif d’une mythologie néotsariste, au cœur de laquelle se meut désormais comme un loup dans sa steppe Vladimir Poutine, et de toutes ses répercussions sur la géopolitique planétaire. Sans compter que les très, trop, minces dividendes que Barack Obama a pu récolter de son pari asiatique voleront vite en éclats dès l’investiture de son successeur. Et ce ne sont pas deux acquis historiques, certes, le rétablissement des relations avec Cuba (cela reste finalement, nous sommes en 2017 et le Lider Maximo est mort, très américano-américain) et l’accord nucléaire iranien (d’une fragilité absolue, aussi bien à cause de Trump que des ayatollahs), qui risquent, loin de là, de get the balance right.
Le pire, c’est que tout cela n’est atrocement pas dû à l’impuissance des États-Unis, comme aiment à le rabâcher beaucoup de médias européens. Le pire, c’est que cela n’aura été, finalement, que le bon plaisir du prince Obama. Vladimir Poutine et tous les autres le savent bien.
Reste l’histoire, gueuse, malicieuse et cruelle, parfois, comme personne. Elle sait déjà ce qu’elle retiendra de Barack Obama. Elle est bien la seule.