IMLebanon

OK chaos

Il est sans aucun doute le politologue, le géostratège, l’analyste le plus brillant que l’überplanète US ait connu. Cela ne l’a pas empêché de commettre une erreur d’appréciation. Une seule, n’en déplaise, entre autres, à Vladimir Poutine, mais une grosse. Zbigniew Brzezinski, 87 ans aujourd’hui, avait écrit que celui qui gouverne l’Europe de l’Est domine le heartland, qui gouverne le heartland domine l’île-monde, et qui gouverne l’île-monde domine le monde. C’était dans The Grand Chessboard, il n’y a pas si longtemps, en 1997. Seule erreur, donc : il fallait remplacer Europe de l’Est par Moyen-Orient.

Parce qu’il est presque totalement brzezinskisé, ce Moyen-Orient, désormais.

Cela avait commencé dès le démarrage des années 70. Ouvertement ou honteusement brzesinskistes, Henry Kissinger, Cyrus Vance, George Shultz, James Baker, Madeleine Albright, Colin Powell, Hillary Clinton, John Kerry et, surtout, surtout Condoleezza Rice, ont fait leur, chacun(e) à sa façon, cette valse à deux temps que ce brave Brzezinski rabâchait depuis le milieu des années 60 et qu’il a constitutionnalisée noir sur blanc, trente ans plus tard, toujours dans son Grand Échiquier. Un : identifier les États géopolitiquement dynamiques qui ont le potentiel de créer un basculement important en termes de distribution internationale du pouvoir. Deux : mettre en œuvre des politiques US pour les compenser, les coopter et/ou les contrôler.

C’est exactement ce que vient de faire le tandem Obama-Kerry, qui a relégué l’Asie aux calendes grecques, avec l’Iran. Avec cet accord historique, du moins sur le papier, à propos du nucléaire iranien. Un insensé miroir aux alouettes, que Jacques Chirac avait débusqué il y a des années : comme si, une fois en sa possession, n’importe quel ayatollah, aussi illuminé soit-il, pouvait appuyer sur le bouton. Comme si le Saoudien Salmane ou l’Israélien Netanyahu ne le savaient pas – est-ce que Bibi est vraiment hors de lui, est-ce que la convergence des intérêts CCG-État hébreu est maintenant à son climax, avec le croissant chiite en ligne de mire, ou bien est-il ravi que le Perse sorte renforcé pour l’aider, la Bible l’a répété à maintes reprises, à combattre celui qu’il considère être son ennemi génétique : l’Arabe ? Comme si les Américains, c’est-à-dire la communauté internationale, aussi métallique que continuerait d’être le couple Hollande-Fabius, étaient réellement préoccupés, du moins principalement, par la capacité atomique de l’Iran.

Soit Barack Obama est un fumiste fondamentalement amateur, soit il est un diable génialement pervers. Si son plan réussit, et seul le long terme le dira, il aura déformé, tordu et démocratisé l’un des concepts républicains de politique étrangère les plus symboliques : le New Middle East et son chaos constructif. Que Condoleezza Rice, dite Condie, brzezinskisée jusqu’au plus caché de ses neurones, avait craché à la face du monde. C’était à Tel-Aviv, en juin 2006, quelques jours avant la guerre de juillet entre Israël et le Hezbollah. Neuf ans plus tard, John Kerry vient de lancer un New Middle East 2.0. L’épicentre du premier était censé être le Liban ; l’épicentre du second devrait être l’Iran – il n’y a pas de hasard. Un Iran désatomisé ou pas, peu importe, qui sera, si le plan US réussit, somptueusement renfloué et dont la capacité de nuisance sera somptueusement centuplée. Que les politiques américaines parviennent à compenser, coopter ou contrôler, cela est pour l’instant, comme ils disent chez eux, totalement irrelevant.

Alfred Nobel (pour le prix du même nom, celui décerné en 2009), Mark Sykes et François Georges Picot (pour les frontières du même nom, dont on fêtera dans quelques mois les 100 ans) ricanent très jaune. Condoleezza Rice, elle, vibrionne.