Invariablement nul en math-sciences, j’avoue n’avoir jamais rien compris à la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein, ni à sa célèbre formule : La réalité est une simple illusion, quoique très persistante. En revanche, et comme l’écrasante majorité des Libanais, j’ai le très réel sentiment de vivre dans un pays naguère tenu pour un modèle de coexistence, et où l’on ne se donne même plus la peine de faire illusion. Un pays où l’action politique n’est que grossière manœuvre et où les grands desseins ne se déclinent qu’en trompe-l’œil.
À tout seigneur tout honneur : illusionniste en chef, le président de l’Assemblée lançait hier même une session marathonienne (trois jours de bavasseries!) de cette grosse fumisterie qu’est le dialogue national. Au menu, deux plats qu’on ne cesse de repasser depuis plus de deux ans : l’élection présidentielle, désespérément en panne ; et une nouvelle loi électorale, susceptible de satisfaire toutes les parties.
Comme le veut la Constitution, et avec elle la raison, ces deux dossiers relèvent pourtant de la compétence d’une Chambre des députés que son propre président tient apparemment (lui aussi) en piètre estime ; voilà pourquoi il préfère s’adresser à Dieu plutôt qu’à ses saints, en réunissant autour de la table de dialogue les chefs des divers courants politiques. Peine perdue, cependant : car s’il y a bien simulacre de dialogue, ce sont des positions bien connues et absolument inconciliables qui sont, une fois de plus, affichées : joute oratoire qui, par ailleurs, n’a pas grand-chose de national, du moment que tous ou presque sont dans l’attente d’un hypothétique accord saoudo-iranien qui viendrait enfin doter le Liban d’un président.
Dans l’intervalle, les paris sur la course présidentielle tournent à une morne partie de poker menteur. S’il soutient formellement la candidature de Michel Aoun, le Hezbollah demeure visiblement fidèle à sa stratégie du blocage et du vide institutionnel, dont il escompte une renégociation en règle de la structure du pouvoir : pour grosse que soit la ficelle, le général, tout à ses rêves présidentiels, est bien le seul à refuser de la voir.
C’est bien pour confondre la milice pourtant que Samir Geagea avait fait sensation, au printemps dernier, en se ralliant à son vieil ennemi, le général. C’est aussi pour placer le Hezbollah face à un dilemme cornélien que Saad Hariri, occultant sa vive hostilité à Bachar el-Assad, qu’il tient pour l’assassin de son père, a avancé la candidature du député Sleiman Frangié, proche ami du dictateur syrien et allié de vieille date du Hezbollah. Peine perdue, l’immobilisme continue de faire loi alors que le pays se déglingue et que l’économie s’essouffle, sans pour autant que cesse, à coups de combines, de magouilles et autres adjudications suspectes, le pillage des ressources étatiques.
Dans le morne désert de l’imagination politique, on aurait enfin souhaité saluer, sans nulle réserve, ce qui apparaît comme une véritable innovation : ces primaires auxquelles vient de procéder le Courant patriotique libre pour désigner ses candidats aux (très ?) futures élections législatives. Ce n’est pas encore le caucus ou la convention des Américains, c’est vrai, mais il est grand temps de voir les partis locaux se référer à la base pour sélectionner leurs champions, plutôt que de s’en remettre au libre arbitre du chef. Las, c’est précisément en s’en prenant à la base qu’on a trafiqué le beau tableau : en radiant des militants de la première heure, qui subissaient mille avanies quand le chef portait encore des culottes courtes.
Illusions, illusions, qu’on vous disait…