Par-delà les tartufferies et les mises en scène, dont le secrétaire général du Hezbollah a indubitablement le sens, comme il l’a encore une fois prouvé au cours de son intervention divine de vendredi dernier qui tombe à point nommé pour légitimer quelque peu la face d’un parti qui n’a plus aucune raison d’être, sinon de maintenir son hégémonie sur une communauté et la prise d’un peuple en otage au service d’une puissance étrangère, il faudra, ne serait-ce que pour une fois, poser les véritables questions et refuser d’entrer dans les rhétoriques stériles imposées par le Hezbollah.
Ce que les récentes échauffourées au Liban-Sud révèlent parfaitement bien, c’est le jeu cynique auquel se livrent depuis des années l’Iran et Israël, dans un équilibre de la terreur bien dosé par Libanais interposés – et peu importe si, au passage, des milliers de citoyens doivent mourir comme autant de dommages collatéraux, pour la plus grande gloire du chef et de son culte, du guide suprême et de son idolâtrie, ou d’une mythomanie eschatologique apocalyptique à l’aide de laquelle l’on cherche à embrigader des masses de plus en plus désenchantées. Encore une fois, on ne le dira jamais assez : la montée aux extrêmes est bénéfique à tous les extrêmes sans exception, dans une alliance objective salutaire, qu’elle soit le fait de parties israéliennes, palestiniennes, iraniennes, syriennes, irakiennes, arabes, non arabes, sunnites, chiites, juives ou chrétiennes. Nul n’a l’apanage de l’extrémisme, mais les extrémistes se reconnaissent entre eux ; et ils savent qu’en fin de compte, ils ne peuvent que se renforcer les uns les autres, comme des vampires qui sucent le sang de la terre et se nourrissent de ses enfants pour mieux asseoir leur domination qui bipolaire, qui multipolaire. En ce sens, la seule vraie victoire que le Hezbollah vient de remporter n’est pas contre Netanyahu, Lieberman et ses autres doubles mimétiques, mais contre l’État et la société libanais, et contre tous ceux qui tentent encore de promouvoir la fin de la violence dans cette partie du monde.
Or, c’est précisément cette pulsion suicidaire qu’une très large majorité de la population libanaise – même celle qui contemple inlassablement toutes les nuits, dans ses rêves, le chef du Courant patriotique libre, confortablement assis, comme un roi, sur le trône présidentiel – rejette plus que jamais. Non seulement parce qu’elle est épuisée de tous les conflits, causes, idéologies, promesses et tout le baratin, mais aussi parce qu’elle aspire à une autre forme d’existence, à un autre modèle de société. La résistance, elle en a soupé : libanaise, nationale, chrétienne, islamique, elle n’en veut plus. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elle est démissionnaire, qu’elle veut s’avachir et s’entourer d’oubli pour mieux réussir sa mort ; non. Elle veut juste résister différemment, par des choix positifs, constructifs, des politiques économiques, sociales, environnementales, sanitaires, par une culture bénéfique pour ses citoyens et ses groupes. Elle en a assez de la violence qui lui pompe son avenir et ses jeunes inlassablement depuis quatre décennies. Elle a affectivement et rationnellement envie, pour une fois, d’être réellement, et pas seulement par défaut, une exception culturelle dans une région en dislocation : celle qui œuvrerait en faveur de la paix et qui aiderait ses voisins à développer des modèles alternatifs de vivre-ensemble – au lieu d’y exporter, un peu partout, de nouvelles germes de violence, et de sacrifier génération après génération au fil des leaders historiques et autres Don Quichotte exaltés, pour qui la vie et l’humanité sont synonymes de faiblesse ontologique et de résignation.
Il ne faut pas s’y tromper. L’image du chef du Hezbollah haranguant une fois de plus ces foules transcendées par le retour, dans la foulée du Vietnam syrien, à « la route de Jérusalem » – laquelle passe aujourd’hui, et c’est sans conteste la supercherie du siècle, par la destruction de l’ensemble de la Syrie, et l’extermination et le déplacement d’une grande majorité de sa population sous l’obscène prédication de l’alliance et de la protection des minorités ! – est autant en décalage avec les aspirations des peuples de la région qu’avec celles, immondes et plus horriblement spectaculaires, des monstres encagoulés de Daech en train de décapiter les journalistes.
Qu’ils soient revêtus de doctrines religieuses ou d’idéologies pseudo-laïques, qu’ils évoluent en tyrannie, en démocratie ou en théocratie, les parangons de la violence apocalyptique s’unissent tous au cœur d’un mimétisme morbide aux dépens du monde. C’est pourquoi il faut les rejeter d’une seule traite. Ils n’ont aucun avenir.
Nous voulons vivre ensemble, en paix, dans un climat de développement économique, social et culturel, au sein d’une société ouverte sur le monde et plurielle, dont les fondements seraient la liberté, la dignité humaine, la justice et l’égalité.
Telle est la vocation historique du Liban. Telle est la seule « résistance » qui mérite encore droit de cité, celle du citoyen voulant édifier un État et une société pour l’avenir de ses enfants. Les autres, toutes les autres, ont beau être incapables de comprendre et d’entrevoir leur propre fin et leur caractère bancal, elles n’en finiront pas moins, un jour ou l’autre, aux oubliettes de l’histoire.