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Percée du Liban en droit international public, ou l’autre résistance contre Israël…

Des « soldats inconnus », juristes et experts libanais et internationaux, sont parvenus, huit ans après la guerre de juillet 2006, à consacrer, par une résolution de l’Assemblée générale, le montant exact qu’Israël doit verser au Liban en guise d’indemnités. Le mécanisme de responsabilité contre Israël n’avait jamais été poussé jusqu’à une évaluation claire du préjudice, qui a d’abord une portée symbolique.

La tendance au défaitisme diplomatique face à Israël, renforcée par un scepticisme quant à l’efficacité du droit international public, résulte d’une connaissance lacunaire de ce droit et d’une réticence (politique ?) à ne pas explorer toute les voies de recours possibles contre Israël.

La marée noire, entraînée en juillet 2006 sur 150 km de littoral libano-syrien, par les raids israéliens sur la centrale électrique de Jiyeh, a pu constituer un cas d’école en droit international public, relatif à la réparation des dommages causés à l’environnement en période de conflit armé.

En effet, le Liban a réussi à obtenir, le 20 décembre dernier, l’adoption par l’Assemblée générale de l’Onu d’une résolution qui demande à Israël de lui verser des indemnités, d’un montant précis de 856,4 millions de dollars US, pour les dégâts environnementaux et matériels causés par la marée noire de 2006. Cette résolution fait suite à huit résolutions précédentes, prises annuellement de 2006 jusqu’en 2013, qui avaient reconnu la responsabilité d’Israël en la matière. L’importance de la résolution de décembre dernier, adoptée à l’écrasante majorité des 170 pays, est qu’elle fixe le montant exact des indemnités à verser. Cette évaluation constitue une première en droit de l’environnement et de la guerre.

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Comment le Liban a-t-il réussi cette percée, avec ses moyens de pression limités ?
Dans un premier temps, l’Onu a retenu dès 2006, par le biais de son Assemblée générale, la responsabilité de l’État d’Israël pour le préjudice causé en matière d’environnement.
Dans un second temps, elle a appelé à une quantification des indemnisations exigibles.
La somme fixée par la résolution de décembre 2014 découle des conclusions du secrétaire général des Nations unies dans son rapport du 14 août de la même année, qui s’était lui-même fondé sur des rapports d’organisations internationales indépendantes, comme devait le rappeler dans un communiqué l’ambassadeur permanent du Liban aux Nations unies, Nawaf Salam, à l’issue du vote de la résolution du 20 décembre.

Il s’agit notamment de sept études, menées sur le terrain entre août 2006 et octobre 2007, certaines en coopération avec le ministère de l’Environnement, afin d’évaluer l’ampleur des dégâts causés par Israël au Liban dans les divers secteurs dont celui de l’environnement du fait de la marée noire.
Les bombardements israéliens des installations de Jiyeh avaient brûlé 55 000 tonnes de fuel et provoqué la fuite de 15 000 tonnes de fuel dans la Méditerranée. Un blocus maritime avait été imposé ensuite par Israël pendant plusieurs semaines, empêchant toute mesure qui aurait pu limiter, ou « mitiger » les dégâts.

Témoignage direct

Les sept études devaient fournir un témoignage direct et revêtir toute leur portée juridique grâce à deux rapports successifs, soumis en 2011 et 2014 au Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD), par Nasri Antoine Diab, professeur de droit et avocat aux barreaux de Beyrouth et de Paris. C’est son second rapport, soumis en juillet 2014, sur la base de ces sept études, qui a préludé à l’adoption de la résolution de l’Assemblée générale de l’Onu portant le montant exact des indemnisations.
Ces études ont été successivement menées par un groupe de travail pour le Liban formé d’experts (Experts working group for lebanon), sous la supervision du Rempec (Centre régional de réponse urgente aux cas de pollution marine), l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), le Conseil national de la recherche scientifique, la FAO, le Pnud, la Banque mondiale et le programme des Nations unies pour l’environnement.
L’objet du second rapport soumis par Nasri Diab au Pnud a été de lier ces études aux bases juridiques d’indemnisation, existant en droit libanais et en droit international public.

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Terrains d’exploitation juridique

D’abord, ces études fournissent « la preuve des dégâts subis réellement par la communauté et par les individus, d’une manière très détaillée de sorte qu’il n’est plus besoin de dresser un inventaire des faits », comme le relève Nasri Diab. Elles confirment ainsi la responsabilité d’Israël en la matière, même si la reconnaissance de cette responsabilité par l’AG de l’Onu suffit.

Ensuite, en établissant l’impossibilité pour le Liban, au lendemain du bombardement des réservoirs de fuel de Jiyeh, d’intervenir pour limiter ou atténuer les dégâts, à cause du blocus maritime imposé par Israël, ces études démontrent « non seulement qu’Israël a aggravé les pertes, mais aussi qu’il s’est placé dans une position juridique où il ne peut opposer au Liban aucun grief (sur sa part de responsabilité, NDLR), ni faire valoir pour sa défense le fait que le Liban n’a pas limité les dégâts ». Autrement dit, ces études « exonèrent définitivement le Liban de toute contre-accusation fondée sur la négligence du fait de n’avoir pas limité les dégâts », relève sur ce point Nasri Diab.

Ces études, notamment celle de la Banque mondiale, ont permis à l’expert en économie environnementale mandaté par le PNUD d’évaluer à 856,4 millions de dollars US le montant de l’indemnisation, en prenant en compte l’inflation et les intérêts. « Les documents évaluent une part du préjudice en chiffres, (…) et décrivent minutieusement les points d’impact, c’est-à-dire les différentes zones ayant subi des dégâts », constate Nasri Diab, qui valorise en outre la méthodologie adoptée par les experts et la qualité scientifique des présomptions sous-tendant leurs études.

(Pour mémoire : Accusé des raids en Syrie, Israël veut stopper le transfert d’armes au Hezbollah)
Ce montant ne couvre pas toutefois tous les préjudices pour lesquels le Liban est à même d’obtenir une réparation, la liste de ces préjudices pouvant être résumée comme suit : préjudice moral, matériel direct, indirect, actuel, futur, par ricochet (causé aux proches des victimes), le manque à gagner, la perte de chance, les intérêts sur la réparation financière à recevoir.

Dans son rapport, Nasri Diab retient notamment le préjudice par ricochet et le préjudice futur.
En évaluant l’impact de la marée noire sur la biodiversité, prévu dès 2006 de s’étaler sur une période de dix à quinze ans, les études d’experts « pavent la voie à l’indemnisation de futurs préjudices », mais occultent les préjudices par ricochet.
Il reste que l’obtention éventuelle de la réparation du préjudice futur exige « des sondages chroniques et des rapports relatifs à de nouvelles manifestations de lésions écologiques ».

« Un droit en création »

D’une manière générale, « les études fournissent des bases utiles de comparaison » avec d’autres cas de désastre environnemental. Ces cas « pourraient servir de référence aux calculs de nouvelles indemnisations » qu’imposerait la manifestation de nouveaux dommages. Un exemple utile serait par exemple la marée noire causée par le naufrage du pétrolier Erika au large de la Bretagne en 1999.
Cette comparaison pourrait également servir à examiner en profondeur certains effets « que les études identifient mais sans les prendre en compte dans l’évaluation de l’indemnisation : l’impact sur la santé, l’écosystème, l’habitat, la biodiversité marine, la qualité des eaux sous-terraines ».

La récente résolution de l’Assemblée générale est le résultat d’un immense travail d’équipe étalé sur des années et d’efforts déployés par « des soldats de l’ombre, à travers l’Onu et le Pnud », affirme Nasri Diab à L’Orient-Le Jour. S’il parie sur « l’imagination en droit », il estime que le droit international public « est actuellement en cours de création ». Un exemple de cette genèse saisie au vif, serait le Tribunal spécial pour le Liban, porteur de nombreux précédents au niveau de la procédure et du fond. Un autre exemple, plus récent, qui dénote d’un usage renforcé des outils du droit international, est l’ouverture par le procureur de la Cour pénale internationale d’un « examen préliminaire » sur la situation en Palestine, à la suite de la décision de l’Autorité palestinienne d’accéder au statut de Rome. La CPI constitue d’ailleurs une des voies de recours explorées par Nasri Diab pour contraindre Israël à indemniser le Liban. Un troisième rapport serait en cours d’élaboration à cette fin.