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Il est temps. Il est grand temps de (re)prendre le pouvoir. Grand temps d’arrêter d’être offusqués en regardant les vidéos des poubelles qui circulent depuis quelque temps sur le Net. De les regarder, léthargiques, comme quand on tombe sur une émission de téléachat et qu’on la mate jusqu’au bout sans savoir pourquoi on a n’a pas changé de chaîne ; ou qu’on traîne le regard hagard devant les poissons rouges dans un grand aquarium.
Nous sommes anesthésiés. Pas contre la douleur, mais contre les odeurs. Celles des poubelles et de toutes les pourritures qui nous entourent. Nous sommes chloroformés par le(s) pouvoir(s) politique(s), drogués à la GHB pour qu’ils nous violent jusqu’à la moelle, sans qu’on puisse réagir. On le sent, on le voit, on le sait, mais cette camisole nous empêche de bouger. Quelle camisole ? Celle de notre bêtise. Celle de notre inertie, de notre trahison. Non, les dirigeants et autres représentants ne sont pas les seuls traîtres. Nous sommes loin d’être mieux qu’eux. Chaque jour qui passe, chaque tonne de poubelles en plus, est une trahison supplémentaire de notre part.
Nous sommes en train de laisser tomber notre pays. En le laissant couler sous/avec les ordures ; en laissant ses enfants partir les uns après les autres. En laissant ce nuage jaune flotter au-dessus de nous, en laissant ce siège présidentiel prendre la poussière, en les laissant nous manipuler, nous rire au nez, nous voler… sans lever le petit doigt, mais en courbant l’échine. « C’est fini », « ça ne sert plus à rien », « le Liban est foutu », « on doit partir », « il n’y a plus rien ». Notre mer est morte et nous bientôt, si on continue à y descendre. Les touristes (enfin, ce qui nous restait comme touristes) se sont fait la malle en ne la remplissant plus. Et nous, on assiste à cette lente agonie.
Pourtant, ça fait des mois, des années qu’on râle, qu’on en parle, qu’on l’écrit, qu’on s’insurge avec des mots, qu’on ressasse. Mais qu’on ne fait rien. On est descendu dans la rue. Une, deux, trois fois et puis ça s’est éteint. Il y a eu des casseurs, des infiltrés, des organisateurs trop politisés, et un souffle pas assez long. Oh, et puis à quoi ça sert ? On n’a aucune prérogative. On n’a pas de véritables élus. Pendant que nous, on se foule la rate tous les jours pour gagner du fric, eux se la coulent douce en le dépensant. Et si nous devions aller aux urnes, comme des cons, on voterait pour les mêmes. Parce qu’on devra choisir entre la peste et le choléra. Tiens… le choléra.
Et donc ? Donc, aujourd’hui, il y a une marche qui part de Sassine. Vous savez, Sassine, là où Marcellino a été sauvagement assassiné. Une marche pour protester. Encore ? Oui, encore. Sera-t-on nombreux ?
Probablement pas. Il y aura les manquants : les désabusés, ceux qui n’y croient plus, ceux qui ont peur d’un dérapage, ceux qui n’aiment pas le collectif YouStink, ceux qui, de toutes les manières, s’en vont bientôt. Ceux qui se moqueront de ceux qui « descendent » en leur disant que ça ne sert à rien. Eh bien, c’est fort probable que ça ne serve à rien. Que demain dimanche et les jours qui y suivront se ressembleront. C’est fort probable que les choses vont aller en s’aggravant, qu’en juillet, nous fêterons un an de cette république poubelle, que dans un an nous serons toujours sans président. Fort probable que d’ici à la fin de cette décennie, on continuera à voir les mêmes têtes et leurs sempiternelles litanies dans les mêmes programmes sur les mêmes chaînes. Fort probable qu’on les regarde comme on regarde une émission de téléachat.
Sauf qu’on n’a rien à perdre. Plus rien à perdre. Et on se fout de qui organise, s’il y aura des gauchisants, si ce sera récupéré, politisé. Il faut les faire tomber, les uns après les autres. Pour qu’on retrouve notre dignité. Pour qu’on ne soit plus les complices de cette haute trahison.