L’ÉDITO
|
C’est quoi, exactement, le trumpisme, accouché aux yeux du monde le 8 novembre grâce aux grands électeurs US et malgré un vote populaire gagné à plus d’1,5 million de voix par Hillary Clinton, modèle américain vieux de 240 ans oblige ? C’est quoi, le trumpisme ? C’est cet étudiant d’une grande université qui agresse physiquement d’autres étudiants qui manifestaient pacifiquement contre le président élu, avant d’être chassé par les flics de l’établissement sous les huées générales ? C’est quoi, le trumpisme? C’est cet automobiliste* arrêté à un feu rouge qui vocifère contre un autre, Fuck you and your family you terrorist fuck, video, you’re a loser, Trump is president, so you can kiss your video goodbye, scumbag ? C’est quoi, le trumpisme? C’est placer un raciste qui s’assume, Jeff Sessions, à la tête de la Justice américaine après s’être choisi comme vice-président un créationniste homophobe et anti-droits des femmes ? C’est quoi, le trumpisme ? C’est bunkériser les États-Unis d’Amérique et laisser Vladimir Poutine et Xi Jiping gérer le monde ? C’est quoi, le trumpisme ? Ce sont ces Noirs tabassant sur l’asphalte un Blanc dont le seul crime est de ne pas penser comme eux ? C’est quoi, le trumpisme? Ce sont toutes ces croix gammées vomies sur les murs de l’Amérique profonde ? C’est quoi, le trumpisme? C’est, comble de l’horreur, ces gamins de 11 ans d’une classe de 5e hurlant et chantant Build this wall devant leurs camarades latinos ? C’est quoi le trumpisme? C’est cette haine de l’autre, un Gattaca à l’échelle d’un continent, où l’on ne sera bien qu’entre clones aux génomes soigneusement préétablis, une libanisation (1975-1990, et sans doute encore aujourd’hui…) de l’Amérique ? C’est quoi le trumpisme ? Une guerre civile ?
Il est naturellement trop tôt pour répondre. Pour constater, analyser, comprendre, loin des clichés, loin des procès d’intention, surtout que The Donald n’entrera à la Maison-Blanche que dans deux mois, surtout, aussi, qu’il a été souvent (pas toujours, mais souvent…) prouvé qu’un poste peut aider un homme, quel qu’il soit, à se transfigurer. Mais une graine est semée. Quelque chose a profondément changé au cœur de la première puissance mondiale.
Il est nécessaire, mais pas urgent, de se poser les bonnes questions, d’essayer de savoir pourquoi, de s’imposer, en tant que citoyens et dirigeants du monde, une remise en cause : est-ce une vraie tendance, entre Brexit et poussées nationalistes à l’échelle planétaire ; est-ce que nous, humains, sommes désormais tellement fatigués de/par l’autre que seul un entre-nous, un huis clos, aussi infernal soit-il, peut satisfaire ; est-ce que les superbes valeurs chrétiennes, musulmanes et juives, dans tout ce qu’elles ont de modéré et d’altruiste, ont été à ce point mal interprétées, mal concrétisées, qu’elles sont devenues une arme de refus massif ; est-ce que le populisme à outrance est déjà nouvelle religion ; est-ce cette mondialisation et ce thatchéro-reaganisme triomphants qui ont fini par tout faire dynamiter; est-ce que le/la politique ont été à ce point dévoyés, à ce point bourreaux, qu’ils ont fini par être haïs, jetant la moitié des peuples dans les marges et les contre-allées ; est-ce que notre monde va trop vite ?
Peu importe, effectivement, tant l’urgence est ailleurs : dans l’action. Et la réaction. À tout malheur quelque chose étant bon, il est dans l’intérêt de la planète de profiter de ce séisme made in USA pour un crucial aggiornamento, pour sauver, restaurer et sanctuariser la maison-mère, la maison-humanité. La Russie qu’un pseudotsar déchaîné emmène danser sur un volcan et la Chine bientôt leader galactique du libre-échange (l’ironie est énorme…) étant trop occupées et certainement pas qualifiées pour le faire, il ne reste plus, pour contrebalancer un tant soit peu cette néo-Amerika purement kafkaïenne et catapultée à son âge de pierre moral et culturel, que l’Europe en général, le tandem France-Allemagne en particulier. Et c’est bien là tout le problème…